vendredi 1 novembre 2019

Levée du secret bancaire au Liban : le cas Gebrane Bassil, les enseignements (Art.667)


« Levée du secret bancaire » tout le monde n’a que ça à la bouche aujourd’hui. Et pas que la société civile ! Tous les partis, le Hezbollah et le Courant patriotique libre notamment. La chaine al-Jadeed avait pris les politiciens libanais au mot en novembre 2017 déjà et avait exploré la question sur le cas Gebrane Bassil. Deux mois d’enquête, 50 banques consultées, reportage de 12 min, lien dans les commentaires. Très instructif. J'y reviendrai.

Et voilà qu’en pleine révolution de ce mois d’octobre 2019 et dans le but de surfer sur les revendications populaires, et redorer son blason, le CPL est allé jusqu’à réaliser un clip publié il y a deux jours, où les principales figures du Tayyar déclarent avoir levé le secret bancaire sur leurs comptes et défient les autres politiciens de faire de même (lien dans les commentaires). Sethrida Geagea a aussitôt répondu qu'elle l'a déjà fait depuis son élection en 2005, puis en 2009, càd il y a 10 ans! What else?
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■ QUE FAUT-IL EN PENSER?

Excellent sauf que le slogan « رفع السرية المصرفية », la levée du secret bancaire, que tout le monde répète en boucle, sera, passez-moi l’expression, مثل الشخاخة بالرجمة 😋 Elle ne conduira à pas grand-chose que si et seulement si :

1. Elle est accompagnée de la levée du secret sur l’ensemble des transactions financières durant toutes les périodes où les politiciens ont eu à assumer des fonctions publiques. Qui a volé des millions $ et dépensé des millions $, son solde sera nul et il/elle apparaitra comme pauvre, mais pas blanchi pour autant!

2. Elle concerne le cercle proche, à commencer par la famille. Un politicien peut apparaitre comme pauvre parce qu’il a viré les fonds détournés et les commissions occultes récoltées durant des années à son épouse/époux par exemple, et a acheté des appartements, boutiques, terrains, yachts, œuvres d’art, bijoux et or, à ses enfants/frères-sœurs/père-mère, ou même, a fait crédit à ses amies/amies en échange d’une reconnaissance de dettes.

3. Elle concerne les comptes bancaires détenus à l’étranger et dans les paradis fiscaux, des responsables et de leurs proches.

4. Elle concerne le contenu des coffres des banques, les parts dans les entreprises privées et les biens mobiliers et immobiliers des responsables et de leurs proches, au Liban et à l'étranger.
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■ CAS GEBRANE BASSIL

Cela n'a été possible que grâce à la bonne volonté du chef du CPL, il faut le reconnaître. La « levée du secret bancaire » a permis de découvrir que le ministre des Affaires étrangères détient plusieurs comptes bancaires : il a au total près de 107 000 $ dans 4 banques. Allons bon, ne chipotons pas et disons que c’est cohérent avec ses fonctions, son métier et sa débrouillardise. Mais la surprise était ailleurs.

Sur un de ses nombreux comptes, le ministre des Affaires étrangères et chef du CPL possédait 2,8 millions $, comme emprunt svp. Le pauvre, il est si endetté, hein ! Balivernes. Sa fortune est bien ailleurs et reste à découvrir. En tout cas, si Byblos Bank a été si généreuse et confiante, c’est que le gendre du président a fourni des garanties solides. Lesquelles ? Entre autres, une de taille, Gebrane Bassil possède bel et bien 37 biens fonciers connus au Liban svp. Mais enfin, à en croire Achraf Rifi (lien dans les commentaires), et on n'a aucune raison de ne pas croire un des rares honnêtes hommes de notre pays, au début de sa carrière, il y a une vingtaine d’années, il ne pouvait pas s’acheter une BMW d’occasion à 7 000 $! Alors d’où vient cette fortune GebB? 😎
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■ QUE FAIRE POUR RENDRE LA LEVEÉ DU SECRET BANCAIRE EFFICACE?

On voit bien de ce qui précède que la « levée du secret bancaire » seule risque d'aboutir à pas grand-chose, à part brasser du vent. Pour être efficace, elle doit être accompagnée de la levée du secret sur toutes les TRANSACTIONS FINANCIÈRES effectuées quand les politiciens étaient au pouvoir. En parallèle, il est évident qu’il faut obliger les responsables à déclarer les parts qu’ils détiennent dans les ENTREPRISES et tous les BIENS IMMOBILIERS en leur possession. Ces obligations de transparence doivent concerner les responsables ainsi que leurs PROCHES, au Liban mais aussi à l’ÉTRANGER.

Inutile de vous dire, que nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Il est impossible d'avoir des infos sur les comptes à l'étranger. Nous aurons de quoi nous occuper jusqu'en 2050! Et encore, à condition d'appeler la France, l'Allemagne et le Royaume Uni à l'aide. En plus, il va falloir démontrer que toutes ces fortunes ont été mal acquises, ce qui n'est pas une mince affaire. Et il faut attendre que les personnes concernées fassent appel et que le processus juridique suit son cours. Enfin, le chantier est immense. Non, les amis, nous risquons de dépenser beaucoup d'énergie et d'argent pour pas grand-chose à l'arrivée. NOUS FAISONS FAUSSE ROUTE.
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Si nous voulons être efficaces et pas nous contenter de palabres, je pense que nous devons agir dans deux directions :
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• 1. Obliger tous les responsables libanais à effectuer une « DÉCLARATION OBLIGATOIRE DES COMPTES BANCAIRES ET DES BIENS IMMOBILIERS » détenus par le foyer au Liban et à l’étranger.

Si la loi libanaise de lutte contre l'enrichissement illicite impose depuis une vingtaine d'années une telle déclaration, force est de constater qu'elle a été concoctée pour qu'elle ne soit jamais appliquée! La preuve, elle ne l'est pas : depuis 1999 aucune plainte pour enrichissement illicite n'a été déposée au Liban! La déclaration remise au Conseil constitutionnel, une institution politisée jusqu'à la moelle, reste non seulement secrète (dans une enveloppe fermée; dévoiler son contenu aux citoyens est passible de poursuite judiciaire!), elle ne fait l'objet d'aucune vérification. Tenez-vous bien un député ou un ministre peut insérer une feuille blanche dans l'enveloppe à remettre au Conseil constitutionnel, personne n'en saura rien que si une plainte est déposée contre le député/ministre pour enrichissement illicite! Ce n'est pas tout, pour déposer plainte, il faut un dépôt de garantie au tribunal de près de 16 500 $. Si la plainte est jugée irrecevable, le plaignant peut faire l'objet d'une amende d'au moins 135 000 $ avec une peine d'emprisonnement de 3 mois à un an. Sans parler des dommages et intérêts que le député ou le ministre peut réclamer.

La loi libanaise en matière d'enrichissement illicite actuelle est un scandale. Elle est taillée sur mesure pour couvrir l'enrichissement illicite! Ainsi, il faut la revoir en profondeur pour étendre la déclaration obligatoire (et inclure la levée du secret sur les transactions financières sur toute la période concernée, et toucher les ascendants et liens collatéraux avec les personnes concernées, ainsi que les enfants mineurs et adultes), et surtout, la rendre public (et qu'elle fasse l'object de vérifications) et sanctionner les auteurs de fausses déclarations (avec beaucoup plus de sévérité, amende et emprisonnement).
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• 2. Instaurer un « IMPOT SUR LA FORTUNE » pour tous les hauts responsables politiques libanais, calculé en fonction des soldes des comptes bancaires et des transactions financières annuelles, mais aussi en fonction de tous les biens mobiliers et immobiliers, ainsi que des parts dans les sociétés, au Liban et à l’étranger.

Tout ce qui en dehors de ça, risque de n'être que palabres et poursuite de vent, comme le montre magistralement le cas Gebrane Bassil 😊


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