jeudi 11 avril 2019

De la première photo d'un trou noir à la photo virale de la femme à la robe blanche de Khartoum (Art.606)


🏴 Deux instants concomitants et éphémères qui resteront dans les annales et les mémoires, de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Le premier est celui d’un « trou noir », au nom encore moins attractif, M87. Comme l’appellation le laisse supposer, on ne sait pas trop ce qui se passe là-bas dans cette masse compacte qui fait 6,5 milliards de fois celle du Soleil (en kg, c'est 1 suivi de 40 zéros). Disons, « Boule noire » serait un terme plus adapté. Toute matière qui s’aventure dans ce coin lointain est happée par une force irrésistible, chauffée à des températures astronomiques et engloutie pour l’éternité. Même la lumière n’arrive pas à s’y échapper ! Et comme cela concerne une galaxie située à 55 millions d’années-lumière de notre Terre, tout ce qui s’y rapporte, de point de vue du plancher des vaches, est obsolète, enfin, fait partie de l’histoire de l’Univers.

C’est pour dire que la première véritable reconstitution photographique d’un trou noir, présentée par The Event Horizon Telescope, un réseau international américano-européen de télescopes terrestres, est un exploit scientifique de premier ordre. Ce dernier a été accompli grâce à un travail collaboratif de 200 chercheurs des deux côtés de l'Atlantique, et le premier, à l’aide d’un algorithme-programme mis au point par un groupe scientifique supervisé par une femme américaine de 29 ans, Katie Bouman, elle-même si surprise d’avoir son nom associé à jamais à cette découverte majeure.

🇸🇩 La seconde photographie a déjà le mérite d’enterrer plusieurs clichés sur les pays arabes en général et le Soudan en particulier. Les mauvaises langues bien pendues des quatre coins du monde, ne ratent pas une occasion pour nous expliquer que les protestations populaires du Machreq au Maghreb, ne constituent pas les signes d’un « printemps arabe », ce n’est qu’un mirage. Et pourtant, il va falloir revoir la copie encore une fois. Une loi imposant l’égalité hommes-femmes dans l’héritage en Tunisie, c’en est un. Des femmes au volant en Arabie saoudite, c’en est aussi. Le pape François aux Emirats Arabes Unis et au Maroc, c’en est également. Et j’en passe et des meilleurs. Et le meilleur de la semaine, c’est une autre femme de 22 ans, Alaa Salah, projetée en un clin d’œil sous les feux de la rampe et les objectifs des smartphones, comme la scientifique américaine.

Élégamment vêtue -comme les générations de femmes qui ont destitué les régimes militaires soudanais des années 1960 et 1980- mouvant avec grâce, concentrant toute l’énergie solaire dans ses boucles d’oreille, comme pour conjurer le mauvais oeil, elle se tient droite et toute fière sur le toit d’une voiture, haranguant la foule en plein cœur du quartier de l’armée à Khartoun, à la fenêtre et aux oreilles des dinosaures du régime. Elle chante « ma grand-mère est kandaka », une référence aux reines guerrières nubiennes du Soudan d’antan. Les protestataires, essentiellement des femmes, lui répondent en chœur, « al-sawra » (la révolution).

Depuis samedi le Soudan est en effervescence, mais les manifestations pacifiques ne datent pas d’hier. Depuis des mois, des Soudanais, protestent contre la hausse du prix du pain et réclament, à leurs risques et périls et dans l’indifférence générale de la communauté internationale, de passer à autre chose, de monter dans le train contemporain, de pouvoir enfin, tourner la page! Le problème c’est que ce géant d’Afrique de 43 millions d’habitants, vivant sur un territoire qui fait trois fois la France, a à sa tête une calamité qui se nomme Omar el-Bachir. Agé de 75 ans, l’homme est au pouvoir depuis 30 ans. Alors qu’il est accusé par la Cour pénale internationale, depuis 10 ans svp, de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, commis contre trois groupes ethniques du Darfour, le président soudanais a pu se rendre pépère, au Qatar, en Afrique du Sud, en Chine, et même en Jordanie il y a 2 ans, pour le 28e sommet de la Ligue arabe !, comme si de rien n’était et malgré deux mandats d’arrêts à son encontre. Mais attention la communauté internationale ne badine pas au sujet de l’Iran et de MBS. L'inconsistance, on en a l'habitude.

Toujours est-il qu’on dénombre plusieurs dizaines de morts depuis décembre. L’état d’urgence est déclaré depuis deux mois. Aux dernières nouvelles, les forces de police appellent à une transition politique pacifique. Il n’empêche que cette femme a risqué sa peau, pour une noble cause. « On ne veut pas juste changer ce dictateur, on veut changer le monde, on veut changer la façon dont nous vivons. On voit ce qui se passe en Algérie. On voit comment vivent les femmes du monde entier, et on n’est pas différentes. » Un constat qui nous console de la mondialisation et des réseaux sociaux. Son vœu a été exaucé trois jours plus tard, ce matin même. Omar el-Bachir n’est plus le maitre de Khartoum. Il a été arrêté. C’est l’armée qui prend sa place. Pour deux ans à ce qu’il parait. La suite ? Difficile à dire. Un signe sera de bon augure : si les nouvelles autorités soudanaises répondent favorablement aux mandats d’arrêts de la CPI et extrade l’ex-président soudanais à La Haye, pour être jugé des crimes qu’il a commis.


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