dimanche 26 mai 2019

Élections européennes : faut-il rendre le vote obligatoire ? En attendant, votez pour tout sauf pour les pas sérieux, les dangers publics et les grands imposteurs (Art.616)


Trente-quatre listes ont été déposées au ministère de l’Intérieur en France pour les élections européennes. Un record. C’est pour dire, la motivation est grande.


Salaires, indemnités et avantages en tout genre, l’enveloppe financière conséquente qui est allouée à chaque député européen mensuellement, crée pas mal de vocations et suscite beaucoup de convoitises. Et les convictions ? Justement, parlons-en. Avec près de 13 000 €/mois comme salaire de base et frais généraux, et près de 25 000 €/mois pour embaucher famille, amis et camarades, pendant 60 mois, auxquels il faut ajouter 320 €/j pour la présence au Parlement, le remboursement des frais de voyage en classe affaires et première classe, et les indemnités de départ d’un mois de salaire par année de mandat, beaucoup d’Européens pensent que parler de convictions dans ces conditions n’a pas de sens. Pour eux, le problème de l’Union européenne c’est qu’elle coute beaucoup d’argent, point barre. Erreur, grosse erreur.

L’ensemble du budget de l’UE, 160 milliards d’euros en 2018, ne représente que près de 1 % du PIB des 28 pays membres ! Il ne prévoit pas de déficit, càd les dépenses ne peuvent pas dépasser les recettes. Cela représente 300 euros par habitant et par an, même pas la facture du téléphone portable. Il est financé par la contribution des Etats (71%), les droits de douane (16%) et la TVA (12%). Il est voté par les députés européens justement. 70% du budget annuel est dépensé sur l’agriculture et l’environnement, ainsi que la cohésion social et territoriale, dont l'objectif est de réduire les inégalités entre les différentes régions de l'Union européenne. Les frais de fonctionnement tant décriés par les europhobes (du Parlement, de la Commission et du Conseil), ne représentent que 6 % du budget. Autre fait, la France est le premier bénéficiaire des dépenses européennes. Elle reçoit près de 14 milliards d'euros par an, essentiellement dans le cadre de la Politique agricole commune.

Ce qui n’a donc pas de sens, c’est de s’abstenir de voter aux européennes parce que l’Europe coute cher. C’est non seulement penser petit mais c’est aussi ne pas comprendre, que l’Union européenne est incontestablement la plus belle aventure humaine du 20e siècle. C’est grâce à l’Europe -512 millions d’habitants, 2e puissance économique au monde- que la France peut peser sur le cours des événements dans le monde, face à la Chine et aux Etats-Unis.

L’abstention est une procuration donnée aux autres de choisir à notre place. Dire qu’ils sont tous pareils, tous pourris, est faux. Même si on admet le principe, il y a pourri et pourri. Dire que ma voix ne fera pas la différence, est archifaux. Combien de candidats ont heureusement échoué à cause de quelques voix ou sont malheureusement passés pour quelques voix. Une goutte peut faire déborder le vase et les petits ruisseaux font les grandes rivières. Il est inadmissible d’avoir un taux d’abstention de plus de 50% pour une élection démocratique comme les européennes. L’abstention progresse de scrutin en scrutin. On s’attend à 58% pour le millésime 2019. Chapeau ! Vivement une bonne dictature pour rappeler aux électeurs irresponsables l’importance de la démocratie et vivement le suffrage restreint pour rappeler aux râleurs inconscients l’importance du suffrage universel.

En attendant, on ne peut pas continuer comme si de rien n’était. Dans ces conditions, il faut envisager à l’avenir de rendre le vote obligatoire comme c’est le cas dans certains pays : Australie (ne pas voter expose à une amende de 11€), Belgique (amende de 125€ en cas de récidive), Grèce (ne pas voter complique l’obtention d’un passeport ou d’un permis de conduire) et Luxembourg (amende pouvant aller jusqu’à 1 000 € en cas de récidive dans les 5 ans suivant la première abstention).

Hélas, il faut s’engager et choisir le moindre mal. Au final il y aura 751 bienheureux à l’échelle de l’Union européenne, 79 pour la France, élus parmi 2 686 candidats. On trouve tout et n’importe quoi. Des gens sérieux mais inaudibles, des gens pas sérieux et illisibles. Des idées originales, des idées nases. Ce qui n’a pas de sens aujourd’hui, c’est de donner sa voix à trois catégories de candidats.

. Primo, les pas sérieux. Pas la peine de disserter sur un « parti pirate » favorable à la liberté de navigation sur internet, un « parti animaliste » avec un chien comme tête d’affiche qui n’est même pas capable de mettre un chat à côté et un « parti islamiste » qui prône le port du voile dès la maternelle, enfin à l’école.

. Secundo, les dangers publics. Bien que sérieuses certaines listes gagnent leur place à la poubelle à cause de l’idéologie nauséabonde qu’elles véhiculent. C’est le cas de « La Ligne claire », la liste de Renaud Camus, un écrivain d’extrême droite qui a popularisé la théorie du « grand remplacement », une idéologie extrémiste à l’origine de l’attaque terroriste de Nouvelle-Zélande. Pour les européennes, il nous a concocté le concept de la « remigration », renvoyer les immigrés dans leurs pays, de gré ou de force. Je ne sais pas si on fera des exceptions pour les Libanais ! Dans la lettre adressée aux Européens, voici ce qu’il dit texto : « Jamais une occupation n'a pris fin sans le départ de l'occupant. Jamais une colonisation ne s'est achevée sans le retrait des colonisateurs et des colons. La Ligne claire (…) c'est celle qui mène du ferme constat du grand remplacement (…) à l'exigence de la remigration ».

. Tertio, les grands imposteurs. Contre l’Union européenne mais tellement motivé de siéger au Parlement européen, on croit rêver. Leur maitre à penser, l’exemple à suivre, le précurseur, c’est Nigel Farage. Un homme politique anglais rescapé à un accident de la route, un crash et un cancer des testicules, mais qui a échoué à sept reprises aux élections nationales britanniques. Il n’a jamais réussi à entrer à la Chambre des communes ! Profitant du taux important d’abstention, de la force du populisme anti-européen et de la hargne des électeurs europhobes, il a réussi à toutes les élections européennes organisées depuis 1999 svp ! 4 législatures, 20 ans de mandats et 240 mois à dénigrer l’Union européenne. Maintenant, pensez aux chiffres de l’intro et multipliez-les par 240. Et comme par hasard, à peine le Brexit voté en 2016, il a tiré sa révérence en annonçant qu’il quitte la politique. Plus personne pour concrétiser la sortie du pays de l’Union européenne et pour éviter le départ de l'Irlande du Nord et de l’Ecosse du Royaume Uni. Mais voyons, c’est toujours plus facile à dire qu’à faire. Et comme le divorce n’est pas prononcé, le voilà de de retour pour un 5e mandat, qui ne peut aller au-delà du 31 octobre 2019, que si le Brexit est annulé. Il y a toujours de l’argent à prendre et c’est toujours ça de gagné.

Alors franchement, ce qui n’a pas de sens à part s’abstenir aux élections européennes, c’est de donner sa voix aux Nigel Farage français d’europhobes et d’eurosceptiques en tout genre. Le Brexit nous a permis de comprendre que ces gens ne sont finalement que des imposteurs et des imposteuses, des c*uill*ns et des c*uill*nnes. A partir de là, voter pour qui vous voulez, mais votez.

Vive la démocratie, vive la France, vive l’Union européenne. Ode à la joie et à l’Europe, flashmob à Nuremberg. Magnifique.


Post-scriptum
Estimations et premiers résultats

🇫🇷 Au niveau de la FRANCE :

• Pro-Union européenne ≈ 60 %
(La République en Marche/MoDem 22,5% - Europe Ecologie Les Verts 12,6% - Les Républicains 8,1% - PS/Place publique 6,6% - La France Insoumise 6,3% - Génération.s 3,5%)

• Anti-Union européenne ≈ 28 %
(Front/Rassemblement national 23,7% - Debout la France 3,5%)

🇪🇺 Au niveau de l’EUROPE :

• PRO-Union européenne ≈ 67 %
(Groupe du Parti populaire européen 23% - Alliance progressiste des socialistes et démocrates 19,6% - Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe 13,6% - Groupe des Verts/Alliance libre européenne 9,5%)

• ANTI-Union européenne ≈ 23 %
(Conservateurs et réformistes européens 7,7 - Europe des nations et des libertés 7,6% - Europe de la liberté et de la démocratie directe 7,5%)

C'est donc du simple au double et même au triple, tout le reste n’est que palabres et balivernes ☺️ L’Union européenne se remet en marche dès demain matin. Santé🍷


lundi 20 mai 2019

Quel est le point commun entre Bchara el-Asmar, L’Orient-Le Jour et Radio Beirut ? Le Kangaroo Court ! (Art.615)


Que la réponse soit au bout de votre langue ou que vous donniez votre langue au chat, une chose est sûre, il va falloir vous familiariser avec le terme. Je vous le donne sans plus tarder, c’est le Kangaroo Court. Ce n’est pas spécifique du Liban, loin de là. C’est typique de notre époque. Mais comme toujours, ce qui se passe ailleurs dans le calme se fait chez nous dans le vacarme et ce qui se fait dans le chaos dans le monde prend une forme frénétique au pays du Cèdre.


Alors que le Liban tout entier rendait un grand hommage au patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, le chef de la CGT libanaise, Bchara el-Asmar, a cru bon de saisir l’occasion pour glisser une blague. Maintenant que l’homme est un saint, il se serait vu prier toute la nuit invoquant le défunt à faire un miracle afin de multiplier ses cheveux et qu’il puisse bander plus fort, blablabla et patati et patata. Quel aveu d’impuissance ! Tout est attesté dans un enregistrement vidéo qui a fuité. Une blague stupide par excellence, qui ne casse pas trois pattes à un canard, mais pour de nombreux libanais, notamment maronites, c’est une insulte impardonnable à la mémoire du patriarche.

Ces défenseurs zélés ont beau avoir appris que le Christ fondateur du christianisme a demandé à ses fidèles de pardonner à leurs ennemis, que Jésus considéré par les chrétiens comme le fils incarné de Dieu a lui-même pardonné à ceux qui l’ont torturé, que Nasrallah Sfeir son serviteur et ancien chef de l’Eglise maronite a lui aussi pardonné à ceux qui l’ont bousculé notamment en 1989, il n’y avait rien à faire. Bchara el-Asmar doit comparaitre illico presto devant le Kangaroo Court. Il doit être crucifié sur le Golgotha virtuel des réseaux sociaux, sacrifié sur l’autel dressé par les tartuffes d’Orient ou jeté en pâture aux intolérants de tout poil. Etrange foule en délire, on dirait qu'elle cherche à expier ses propres péchés commis depuis la nuit des temps par leurs langues bien pendues.

Qu’importe si au Liban nous avons des lois et des tribunaux, des juges et des avocats. Le chef de la CGTL est non seulement pris en flagrant délit, mais il a en plus le profil idéal du sale coupable. Employé du port de Beyrouth, imposé politiquement par le duo Amal-Hezb, au salaire astronomique et à l’absentéisme légendaire, il a déjà fait l’objet de plusieurs avertissements administratifs à ce qu'il paraît. Et ce n’est pas tout, il est dans le collimateur du gouvernement et des lobbies de tous genres pour sa défense des travailleurs, des locataires anciens, des classes moyennes, etc.

Condamné d’avance, il n’a le droit à aucune défense. C’est le principe de fonctionnement du Kangaroo Court. Et pour une deuxième chance ou le pardon ? Pardon ! Jamais. Il doit servir d’« exemple » point barre. C’était le leitmotiv de la bataille. Chaines de télévision, médias et institutions, hommes religieux, politiques, journalistes et individus, partout, on trouvait des gens pour exiger du coupable qu’il s’excuse, se mette à genoux, demande pardon au patriarche Raï et démissionne sur le champ. La foule réclamait l’incarcération immédiate de ce danger public et son excommunication. Certains ont publié son numéro de téléphone sur les réseaux sociaux, d’autres ont partagé la photo d’une corde avec une boucle et un hashtag. Eh oui, la peine de mort a été réclamée pour une blague à une piastre ! Ça restera dans les annales. On se demande sérieusement qui présente un danger pour la société libanaise, Bchara el-Asmar ou ces illuminés ? Et dire que tout ce beau monde, chrétien, est en première ligne pour dénoncer les réactions fanatiques de certains musulmans sunnites et chiites à la publication de caricatures sur le prophète Mohammad ou de sketchs sur Hassan Nasrallah.

*

Il faut croire que le Kangaroo Court est débordé de nos jours. Il ne s’est plus où donner de la tête. Changement de registre. Affaire Dayna Aysah vs Radio Beirut. Pour ceux qui ont raté les premières séances, un résumé. Une animatrice a prétendu sur les réseaux sociaux au début du mois de mars avoir été victime de harcèlement sexuel commis par un musicien (sous-entendant même de viol), sur son lieu de travail, un pub renommé de Mar Mikhael, et que le patron des lieux n’avait pas réagi à ses allégations d’une manière convenable. A la différence de l’affaire Bchara el-Asmar vs Patriarche maronite, dans le cas Dayna Aysah vs Radio Beirut, il n’y avait aucune preuve. Pire encore, le témoignage de la prétendue victime présente de nombreuses incohérences, comme je l’ai démontré dans un article bilingue consacré à l’affaire et dans les débats qui ont accompagné la publication sur mon mur, auxquels ont participé des proches de Dayna Aysah. Mais, il n’y avait rien à faire, le Kangaroo Court s'est constitué. Radio Beirut et son patron devaient donc comparaitre illico presto.

Qu’importe si au Liban nous avons des lois et des tribunaux, des juges et des avocats. Qu’importe aussi si la supposée victime et ses défenseurs zélés n’ont jamais porté plainte, les réseaux sociaux étant bien plus commodes. Et qu’importe également si le pub de Mar Mikhaël n’est pas pris en flagrant délit d’erreurs et si son patron Jihad Samhat a le profil idéal de l’innocent, un ex-démineur qui a risqué sa vie pour débarrasser le Sud-Liban, le Darfour et le Kosovo, des mines anti-personnelles. Condamnés d’avance, ni Radio Beirut ni son patron n’avaient le droit à la défense. C’est la règle au Kangaroo Court. Partout, on trouvait des gens pour exiger du « coupable » qu’il s’excuse, se mette à genoux et fasse un « training » contre le harcèlement sexuel au travail. Par qui svp ? Par ceux qui le harcelaient, les lyncheurs néo-bien-pensants de la capitale libanaise ! C'était surréaliste. La foule réclamait à cor et à cri le « boycott » total de l'établissement et la fermeture pure et simple du lieu, sans autre forme de procès.

Toujours est-il que la veille du décès du patriarche maronite, Radio Beirut a publié dans L’Orient-Le Jour un « droit de réponse », passé inaperçu et pour cause, concernant un article sur l’affaire paru dans le journal francophone et intitulé « Mouvement de solidarité en ligne après une tentative de viol révélée par une jeune Libanaise ». Curieusement, L’OLJ s’est permis d’amputer la réponse de Radio Beirut d’un passage important. Comme j’ai couvert le sujet à plusieurs reprises, le pub beyrouthin a eu l’amabilité de m’envoyer la version originale adressée au quotidien. En cause, le Kangaroo Court figurez-vous. Quel hasard extraordinaire !

Dans sa réponse, Radio Beirut a tenu à affirmer son rejet des « jugements publics à travers la presse et les réseaux sociaux », les considérant comme « une source de diffamation » à partir du moment où les allégations ne sont accompagnées « d’aucune preuve juridique ». L’OLJ a cru bon de remplacer « juridique » par « légale », ratant du coup la nuance qui existe entre les deux termes. « Juridique » est un adjectif qui désigne tout ce « qui se fait devant la justice, en justice et selon les formes judiciaires », comme c’est d’actualité !, alors que « légale » se rapporte simplement à ce « qui est conforme à la loi et à la législation ».

De la réponse de Radio Beirut, on apprend aussi que « les qualifications qui figurent dans l’article de L’OLJ, ‘tentative de viol’ et ‘viol’ (utilisées partout par le Kangaroo Court), ont été dénoncées par la personne concernée, Dayna Ayach, sans que cela ne pousse le journal à les supprimer de l’article. » Malgré la gravité de cette constatation, pour un journal d’informations !, tout ce que « la rédaction » a trouvé comme excuse à ce manquement déontologique, c’est de prétendre qu’« en l’absence d’une enquête, les éléments rapportés dans l’article ont été mis au conditionnel ». Ah mais si l’honorable rédaction avait pris la peine de relire l’article rédigé par une des journalistes, ça lui aurait évité cette affirmation légère et imparfaite.

Du conditionnel, il n’y en a point, ni dans le titre, « Mouvement de solidarité en ligne après une tentative de viol révélée par une jeune Libanaise », ni dans la légende de la photo, « Une fois n’est pas coutume, une jeune Libanaise a exposé une tentative de viol dont elle affirme avoir été victime sur son lieu de travail », ni dans le texte de l’article d’ailleurs, « l’histoire d’une jeune Libanaise victime d’une tentative de viol sur son ancien lieu de travail à Beyrouth » et « si la jeune femme n’a pas porté plainte, c’est sans doute en raison du risque de ne pas pouvoir prouver qu’elle a été agressée, les indices physiques du viol n’étant pas réunies dans son cas ». Toujours cette incapacité orientale de reconnaitre et de corriger ses erreurs.

En tout cas, encore un passage d’actualité, « Radio Beirut considère que l’endroit le plus adapté pour juger une affaire de harcèlement comme de diffamation reste le tribunal, ce lieu où est rendue la justice conformément aux lois en vigueur au Liban (...) ». Mais encore ? Vous n’en saurez rien. Les parenthèses sont celles de L’OLJ, pas les miennes. C’est justement là précisément que les ciseaux d’Anastasie ont usé leurs lames, alors que la suite, publiée à la fin de mon poste, porte justement sur l’abjecte adhésion des sociétés modernes, notamment libanaise, au principe du « kangaroo court ». Pourquoi supprimer ce qui est dit avec tant d’élégance et de justesse ? Curieux. A moins que la respectable rédaction de L’OLJ se soit vue membre de ce jury et s’est sentie pleinement visée dans l'affaire Dayna Aysah vs Radio Beirut ?

*

Kangaroo Court (tribunal kangourou) est un terme anglosaxon apparu aux Etats-Unis. Il date de 1853 svp. Il désigne d’une manière aussi sérieuse que sarcastique tout « tribunal » qui ne respecte pas les normes reconnues de droit et de justice. Des procès staliniens de Moscou autrefois, pour éliminer les opposants, aux jugements à l’emporte-pièce d’une foule en délire sur les réseaux sociaux de nos jours, rien à changer. On est accusé, jugé et condamné d’avance, que l’on soit « coupable » comme Bchara el-Asmar/CGTL ou « innocent » comme Jihad Samhat/Radio Beirut, seule l’exécution de la sentence est différée.

« Radio Beirut considère que l’endroit le plus adapté pour juger une affaire de harcèlement comme de diffamation reste le tribunal, ce lieu où est rendue la justice conformément aux lois en vigueur au Liban, et non le ‘kangaroo court’, cette cour populaire éphémère des réseaux sociaux, des médias et d’internet ».

« Kangaroo Court » c’est aussi une belle chanson-clip du groupe indie pop américain, Capital Cities. Elle raconte les mésaventures d'un zèbre qui se résigne à se déguiser en cheval afin d’être autorisé à entrer dans le club sélect The Kangaroo Court. Il enfile ses chaussures de malchance et se voit ouvrir la porte interdite. Excellent danseur, à peine entré, une chienne de poche tombe sous ses charmes. Hélas, ça ne durera pas longtemps. Démasqué par un bouledogue jaloux, à cause de sa queue rayée, il sera arrêté et déféré devant un tribunal présidé par un kangourou et dont le jury est composé de lapins. Condamné à mort à l’unanimité, il sera exécuté par des cochons et finira dans l’assiette d’un lion. Click & enjoy.

Disons que Kangaroo Court est un plaidoyer contre la discrimination, l’ostracisation, et bien entendu, les réactions frénétiques du kangaroo court au sens originel du terme, le tribunal sommaire et expéditif, celui des temps modernes, d’internet, des réseaux sociaux, des blogs et des médias « où le lynchage remplace le procès, les allégations se substituent aux preuves et l’arbitraire supplante la législation, chacun reprenant sa vie par la suite, sans se préoccuper du fond du problème et des conséquences de ses actes ». C’est le propre des sociétés primitives, immatures et violentes. Not in my name ni au nom du christianisme d'ailleurs, encore moins au nom du patriarche maronite Mar Nasrallah Boutros Sfeir.



vendredi 17 mai 2019

Mort d'Ieoh Ming Pei, l'architecte de la Pyramide du Louvre, l'oeuvre narcissique de François Mitterrand (Art.615)


Un autre homme centenaire vient de nous quitter, l'architecte sino-américain Ieoh Ming Pei, auteur de la très controversée Pyramide du Louvre. Ne me demandez pas de lui rendre un hommage, j’aurai du mal.

Photo Benh Lieu Song, Wikimedia commons

L’appréciation d’une œuvre artistique est très personnelle. Certains aiment. D’autres pas. Personnellement, je trouve la construction parisienne pas laide bien sûr, mais plutôt déplacée. Elle a dénaturé la majestueuse cour Napoléon du palais du Louvre à Paris. J’ai beau la voir et la revoir, je n’ai qu’une envie à chaque fois, la démonter. Trois raisons à cela.

. Primo, cette pyramide ne doit son existence qu’à la volonté narcissique de l’ex-président de la République française, François Mitterrand, au début de son long règne (1981-1995), de laisser son nom un peu partout à Paris. Au passage, on reproche à Emmanuel Macron, à juste raison, de vouloir reconstruire Notre-Dame de Paris trop vite sans suivre les procédures habituelles pour les monuments historiques, mais on oublie par exemple que la Pyramide du Louvre a été décidée par François Mitterrand seul, sans recourir à la procédure du concours d'architecture ou de l'appel d'offre.
. Secundo, l’architecte n’est pas allé loin pour trouver son idée, c’était à deux pas, dans la « rue des Pyramides », et à la première station de métro, « Pyramides », inaugurée en 1916. Le père de Balzac a même évoqué l’idée d’une pyramide dans la cour en 1806, peu de temps après la campagne d’Egypte menée par le général Bonaparte, autoproclamé Empereur des Français entre temps.
. Tertio, la pyramide du Louvre était totalement inutile, puisqu’on aurait pu réorganiser les entrées du Louvre, discrètement, sans défigurer le site extérieur par ce monstre de verre, d’acier et d’aluminium. On n’a plus une vue globale originelle ni de la façade principale donnant sur la cour Napoléon quand on se trouve dos aux Tuileries, ni de la perspective Cour Napoléon-Carrousel-Tuileries, quand on est dos au Louvre.

Selon l’historien de l’art Pierre Vaisse, c’est le « degré zéro de l’architecture ». On a même parlé d’une œuvre internationale sans caractère, d’une attraction digne de Disney et d’une maison des morts. Les protestations n’ont abouti à rien. La pyramide du Louvre et ses pyramidions resteront pour un moment. Il faut se faire une raison, l’art contemporain est aujourd’hui partout. Il touche tous les domaines, l’architecture et la peinture bien sûr, comme l’art funéraire, on l’a vu avant-hier au Liban. Je comprends qu’on puisse apprécier. Ce n’est pas mon cas en général et je ne suis pas le seul. Le cercueil de Rudy Rahmé, même s’il est en bois d’olivier de la Vallée de la Qadisha, reste laid, d’autant plus que le sculpteur libanais l’a créé pour le grand patriarche maronite Nasrallah Sfeir. La pyramide d’Ieoh Ming Pei, même si elle est en verre le plus transparent du monde, reste déplacée, surtout que l’architecte sino-américain l’a dessiné pour le prestigieux site du Louvre. Le lapin de Jeff Koons, même s’il a été vendu aux enchères chez Christie’s à plus de 91 millions de dollars, reste stupide, notamment parce que le plasticien américain est un artiste « kitsch néo-pop », appellation officielle hein !, à l’imagination sans talent et sans inspiration, condamné à maintes reprises pour plagiat.

L’appréciation des œuvres artistiques est certes subjective. Mais on peut l’aborder d’une manière scientifique. S’il y a bien une chose détestable dans l’art contemporain, c’est le mélange des genres. Exemple typique, la pyramide du Louvre. Ailleurs, elle pourrait très bien s’intégrer dans le paysage. Pas au palais du Louvre, cette merveille du Moyen-Âge et de la Renaissance. Peut-on imaginer la Tour Eiffel asymétrique et avec du béton? Non. Le mélange ancien/moderne au Louvre, c’est comme le sucré/salé de la pizza hawaïenne à l’ananas, infect. Bon, il faut aimer. Autre exemple, le gratte-ciel de Sama Beirut ou la tour imaginée par Bernard Khoury pour l’ex-bâtiment de la bière Laziza, tous deux placés au beau milieu des petites rues et du vieux Beyrouth, abjecte. Au fait, même à Dbaïyé, les deux bâtiments resteront des œuvres moches. Dans d’autres cas, comme le Cercueil de Rudy, appelons-le comme ça, ce qui dérange le plus c’est la recherche de la complexité au détriment de la simplicité. Résultat, de la laideur. Pour Jeff Koons & Co, la raison du rejet est simple, on a affaire à des imposteurs de l’art, sans véritable talent en dehors du réseau et de la com.

Difficile de terminer cette note sans parler de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Vu l’importance du site, il est clair que Macron est attendu au tournant. Toute idée d’introduire de l’art contemporain sur ce joyau architectural de l’art médiéval sera farouchement combattu, par moi en premier. Cela ne veut pas dire qu’il faut remettre forcément des poutres en chêne et reconstruire ce qui a été détruit exactement à l’identique. A la dernière grande restauration de l’édifice, au 19e siècle, Viollet-le-Duc a modifié profondément la façade, les deux côtés et le toit. Il a même rajouté une flèche inspirée de celle d'origine qu'on avait démontée au 18e siècle à cause de sa vétusté. Peut-on s’en douter aujourd’hui ? Impossible. Qui peut s’en douter ? Personne. Il est là le génie de cet architecte français. Restaurer, construire et reconstruire en respectant la cohérence de l’ensemble en général et l’harmonie de l’édifice en particulier. On retrouve plusieurs styles architecturaux dans Notre-Dame de Paris. Et pourtant, on a l'impression qu'il n'y en a qu'un, le gothique, un art d’origine française.



mercredi 15 mai 2019

Mémoires d’outre-tombe. Le patriarche Sfeir au sculpteur Rudy Rahmé : « Ton cercueil est hideux et étroit, tellement pompeux que tu peux le garder pour toi ! » (Art.613)


Et dire qu'on se fait encore avoir. On a cru en toute bonté que tous les enfants de la patrie seraient à la hauteur. Déjà pour l’enterrement, certains ne le sont pas !

Le cercueil du patriarche Sfeir (2019) vs le cercueil du pape Jean-Paul II (2005)

Après un modeste hommage que j'ai rendu à ce grand homme de notre pays, Nasrallah Sfeir, et la multitude de témoignages authentiques de votre côté chers lectrices et lecteurs, exprimés sur mon mur, sur le vôtre et ailleurs, je pensais disposer de quelques jours off-line. Une aimable personne a fait preuve de générosité en comparant mon encensement lyrique aux oraisons funèbres de Bossuet, ce prédicateur français maitre incontesté de l'éloquence et de cet art oratoire, auteur d'une figure de style restée dans la littérature, « Madame se meurt ! Madame est morte ! », prononcée à la basilique Saint-Denis en 1670 lors des funérailles d'Henriette d'Angleterre, épouse de son cousin Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV, morte à l'âge de 26 ans.

Ce 15 mai de l’an de grâce 2019 aurait dû être un jour historique, de deuil, de recueillement et de réflexion. La dépouille du défunt devait quitter l'hôpital Hôtel-Dieu de Beyrouth pour Bkerké, le siège du patriarcat maronite d'Antioche et de tout l'Orient. Les obsèques sont prévues pour jeudi 17h. On attend près de 50 000 citoyens de toutes les confessions, chrétiennes et msulmanes. Sur le plan officiel, seront présents, le président de la République libanaise, Michel Aoun, le Premier ministre, Saad Hariri et le chef du Parlement, Nabih Berri, ainsi que le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et des représentants du Vatican, du Qatar et d'Arabie saoudite. Tous les partis politiques libanais viendront rendre un dernier hommage à Nasrallah Sfeir -avec une participation spéciale pour le parti des Forces libanaises (à dominante chrétienne) et le Parti socialiste progressiste (à dominante druze), étant donné le rôle déterminant joué par le défunt dans la réconciliation de la Montage- à l'exception du Hezbollah.

Celles et ceux qui sont touchés par le départ du patriarche maronite étaient censés s'isoler du monde extérieur ou descendre dans la rue, faire silence ou méditer, se tourner vers eux-mêmes ou vers Dieu pour prier. Comme un bon nombre d'entre vous, j'ai eu l'idée de suivre le "direct" sur l'événement via internet, faute de pouvoir y participer. Avouez, bien mal nous en a pris.

Je fus d'emblée quelque peu contrarié par la présence massive des drapeaux du parti des Forces libanaises. Soyons clairs, chacun est libre d'exprimer ses émotions par rapport au décès du patriarche maronite de la manière qu'il juge la plus appropriée. Je comprends parfaitement le pourquoi du comment de la chose. Mais enfin, pourquoi s'approprier un symbole national qui permet de ratisser large, au-delà de la communauté maronite et du parti des FL? Que personne ne soit vexé, il y avait une raison à s'interdire cela et celle-ci est simple. Les justifications de ce qui s'est passé sont certainement valides, mais une telle appropriation réduit et rapetisse ce grand homme trans-communautaire et trans-partisan. Un ou deux drapeaux du parti ici et là, aurait été suffisant pour faire passer le message. Par contre, imposer les drapeaux FL en masse au point d’engloutir le drapeau du Liban, à supposer que c'était spontané, était le moins qu'on puisse dire, inconvenant. Bon, il y a plus grave.

Justement, ensuite, je fus agacé par les pétards et les youyous qu’on a entendu dans le background à un certain moment, notamment à l'arrivée du cercueil à Bkerké. Ça alors, mais depuis quand elferqaï3 wel tzoulghout accompagnent le cercueil d'un patriarche ? On m’a déjà rapporté une vidéo sur cette mode populaire contemporaine surréaliste, minoritaire, Dieu merci. J’ai projeté en parler, mais l’actualité a relégué le sujet aux calendes grecques. Non mais depuis quand cette hérésie fait partie de la culture funèbre libanaise pour un homme âgé de 99 ans ? Dans le contexte d’un enterrement, les pétards et les youyous n’ont pas leur place, il dénature la cérémonie et l'ambiance. J’ai enterré père et mère il y a bien des années. Je me souviens encore comme si c’était hier. Le moment le plus émouvant pour moi c’était l’accueil des cercueils dans la tristesse, les pleurs, la prière et les magnifiques chants religieux maronites et syriaques, et au rythme des cloches qui sonnaient le glas et de rien d’autre. Les pétards et les youyous dans un enterrement constituent un acte déplacé en général et un manque de respect flagrant dans le cas particulier de Mar Nasrallah Boutros Sfeir. Oh mais il y avait beaucoup plus grave que tout cela!

A ce propos, enfin, je vous demande deux secondes pour bien choisir mes mots. Je fus, et pas le seul, irrité et indigné, énervé et exaspéré, mis en colère et fou de rage, à la vue de ce cercueil tarabiscoté, une horreur artistique. Rudy Rahmé est peut-être un sculpteur créatif et très doué à ses heures perdues. Mais une chose est sûre, son œuvre est d’une laideur indescriptible. Il a beau mettre du bois de cèdre de la région des Arz, du bois d’olivier de la Vallée de Qannoubine, de la roche du Kesrouan, son cercueil reste hideux. Non mais franchement depuis quand on recourt à trois matériaux pour créer un cercueil ? Et encore, il y a le plâtre d'une tête moulée ou sculptée à la hâte, disproportionnée par rapport au reste ! Et ce n’est pas tout, si vous regardez bien, vous verrez même l’époxy et l’enduit pour combler les vides. Rudy Rahmé s’est fait plaisir à la manière d’un artiste ayant une imagination sans inspiration, incapable de penser une seconde à qui est destinée son œuvre. Désolé, ce cercueil est raté et totalement indigne de cette dernière grande personnalité à entrer dans le Panthéon libanais, Mar Nasrallah Boutros Sfeir.

La question est maintenant de savoir qui a donné le feu vert pour une telle horreur artistique ? Je pense comme vous ! Eh oui, ce n’est pas par hasard si j’ai fait allusion à lui dans mon hommage dimanche dernier. C’est sans l’ombre d’un doute la signature de quelqu’un qui se regarde dans le miroir tous les matins et se teint les cheveux tous les mois. Vous parlez d’un déclin et du dernier des Mohicans ! Que ça reste entre nous, j’ai proposé à Tom Cruise une mission impossible à réaliser en 24 heures, remplacer cette laideur abjecte par une simple copie du simple cercueil du simple pape Jean-Paul II, mort en 2005 et canonisé depuis, voir photo ci-jointe. A tout hasard, le cercueil que certains fidèles de mauvais goût ont choisi pour le patriarche Nasrallah Sfeir est à gauche et celui de saint Jean-Paul II à droite. La beauté est dans la simplicité car « la simplicité est la sophistication suprême », à en croire Léonard de Vinci. S’il est donné au patriarche maronite de dire un dernier mot, il s’adresserait à Rudy Rahmé avec un sourire narquois et la rime : ton cercueil est hideux et étroit, tellement pompeux que tu peux le garder pour toi 😊

Post-scriptum 🤔

Aux dernières nouvelles, Tom Cruise a réussi sa mission, le cercueil du sculpteur Rudy Rahmé sera bel et bien remplacé pour la cérémonie d'hommage national. Minute ! ne nous réjouissons pas trop vite. Il ne le sera pas parce qu’il est laid, pompeux et indigne du défunt. Comment vous l’annoncez ? Euh, désolé, mais ils veulent le garder ! Si, si. Et pour cause, il sera exposé dans la maison natale de Nasrallah Sfeir à Reifoun. En tout cas, c'est le motif officiel du siège patriarcat, pour éviter el-jorsa sans doute, le ridicule d'avoir commis une telle bourde. Autre motif évoqué, son poids pour les pauvres porteurs lors de la cérémonie religieuse cet après-midi. 220 kg de lourdeur ! L'artiste n'y a pas pensé, smallah. Mince alors, en réfléchissant bien, je dirais que nous avons commis une erreur les amis, nous n’aurions pas dû confier cette mission à Tom Cruise. L’enterrement nous aurait ôté cette horreur de la vue une fois pour toutes !



dimanche 12 mai 2019

Décès du patriarche maronite Mar Nasrallah Boutros Sfeir, parrain de l'indépendance du Liban du joug de la Syrie, après 29 ans d'occupation (Art.612)


Rarement « une page se tourne » n’a eu autant de sens qu’aujourd’hui. Le 76e patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient, Mar Nasrallah Boutros Sfeir, nous a quittés à l’âge de 99 ans. Avec son départ, c’est tout un pan de l’histoire du Liban qui part aux archives.


Il ne se regardait pas dans un miroir tous les matins, ni pour se raser ni pour se pomponner, comme certains. Il ne se teignait pas les cheveux tous les mois, ni pour apparaitre plus jeune ni pour faire bonne figure, comme quelques uns. De son vivant, il n’était adepte ni de la langue de bois ni des palabres. De tout temps, il n’était partisan ni de "tebwiss el lé7é" ni de "la ghalib wala maghloub". Avec lui c’était le mot juste, ni plus ni moins ; la réflexion pertinente, pleine de sagesse ; la pique acerbe, avec le sourire narquois.

S'il s’est penché sur les conditions de vie de ses compatriotes et les injustices sociales, le nom du patriarche Mar Nasrallah Boutros Sfeir restera associé au 30e synode patriarcal maronite qui s’est réuni entre 2004 et 2006, considéré comme le 2e plus grand synode de l’histoire de l’Eglise maronite depuis sa fondation au 5e siècle, après celui de 1736. Près de 450 participants ont pris part aux débats, en présence de représentants chrétiens des Eglises catholiques, orthodoxes et protestantes, ainsi que des représentants musulmans, sunnites, chiites et druzes. Au final, 23 textes seront adoptés. Ils concernent l’identité de l’Eglise maronite (sa vocation et sa mission au Liban, en Orient et dans le monde), la structure et l’organisation interne (la hiérarchie, la vie monastique, le cathéchisme, la liturgie, etc.) et surtout, les enjeux contemporains (politique, enseignement, culture, économie, affaires sociales, médias, Terre, etc.). Chaque texte comporte des recommandations sur la manière dont l’Église maronite abordera ce sujet à l’avenir. Impossible d’en faire un résumé en quelques lignes. S’il ne faut retenir que quelques phrases, qui sont à l’image du défunt patriarche, c’est bien celles sur l’identité maronite et les relations islamo-chrétiennes.

« L’identité des maronites n’est ni nationale ni ethnique, mais ecclésiale… La double communion de l’Église maronite avec le patrimoine syriaque antiochien et le siège de saint Pierre a permis à l’Église maronite d’être un pont et de passer l’esprit de l’Orient en Occident et l’esprit de l’Occident en Orient (…) Comme ils (les maronites) ont édifié au Liban une patrie avec leurs frères musulmans… ils se considèrent également concernés par le destin du Machrek arabe (…) Notre Église proclame sa solidarité avec nos frères musulmans dans cet Orient et avec les peuples arabes opprimés (…) Le dialogue islamo-chrétien est la voie de l’avenir, non seulement dans cette région, mais dans le monde entier. »

Prêtre, curé de paroisse, évêque, patriarche et cardinal, il a su gravir les échelons et rester toute sa vie, un humble chrétien digne des enseignements de Jésus de Nazareth.

Beaucoup de ses compatriotes contemporains ont mis de l’eau dans leur vin, changé de cap, tourné leur veste ou filé à l’anglaise. Ils ont eu des agendas parallèles, des objectifs inavouables et des arrière-pensées. Ils ont commis des fautes graves et des erreurs impardonnables. Pas lui. Jamais. Et de ce fait, hélas, il est le dernier des Mohicans du pays du Cèdre.

L’histoire réservera à Mar Nasrallah Boutros Sfeir dix grands chapitres d’une vie bien remplie.

1. Défenseur du Liban libre, souverain et indépendant
2. Opposant à la tyrannie des Assad père et fils, même en pleine période de terreur (1990-2005), n’en déplaise aux ex-8Mars
3. Initiateur du mouvement qui a conduit à libérer le Liban de l’occupation syrienne (2000)
4. Défenseur de la cohabitation fraternelle islamo-chrétienne
5. Opposant à l’anomalie que constitue la situation du Hezbollah au Liban, n’en déplaise aux hezbollahi-compatibles en tout genre
6. Voix de la raison, à des moments où plus personne n’en avait, notamment vers la fin de la guerre libanaise, lors des batailles de Libération et d’Élimination (1988-1990)
7. Militant qui n’a pas hésité à mouiller sa soutane pour empêcher la victoire des ex-8Mars aux élections législatives de 2009, n’en déplaise au Hezbollah et au CPL
8. Organisateur de sa propre succession et de son vivant, encourageant le pape Benoît XVI à lui emboîter le pas
9. Maitre de la langue arabe, parlant le latin, le français, le syriaque et l’araméen
10. Farouche opposant à toute atteinte à la Constitution libanaise, quelles qu’en soient les raisons et les circonstances. Pour l’accord de Taef sans hésitation, n’en déplaise à beaucoup de monde de tous les bords, notamment des ex-8Mars, et contre la destitution par la force du président de la République libanaise, Emile Lahoud, n’en déplaise aux ex-14Mars spécialement. Point capital pour l'avenir du Liban, que tous les prétendants politiques tâchent de s'en souvenir.

Mar Nasrallah Boutros Sfeir est allé rejoindre le Panthéon libanais où reposent des grands noms de notre pays : Rafic Hariri, Bachir Gemayel, Moussa el-Sader, Kamal Joumblatt, Camille Chamoun, Charles Malek, Sabah, Fouad Chehab, Riad el Solh, Gibran Khalil Gibran, Hassan Kamel el Sabbath, Ahmad Fares el Chidiac, Tanios Chahine, Youssef beik Karam, Fakhreddine, et j’en passe et des meilleurs. Impossible de les citer tous.

La gloire du Liban lui sera donnée. Comme elle a été donnée à son Eglise et ses prédécesseurs.
• Sans le patriarche Boulos Massaad, il n’y aurait peut-être pas eu de Mont-Liban autonome de l’Empire ottoman en 1861.
• Sans le patriarche Elias Houayek, il n’y aurait peut-être pas eu de Grand-Liban sous un mandat de la Société des Nations en 1920.
• Sans le patriarche Antonios Arida, il n'y aurait peut-être pas eu de Pacte national islamo-chrétien et d'indépendance du Liban de la France en 1943.
• Sans le patriarche Nasrallah Sfeir, il n’y aurait peut-être pas eu de Liban libéré de l’occupation de la Syrie en 2005 et de seconde indépendance.

Tous ces patriarches n’étaient évidemment pas seuls à œuvrer pour le Liban, loin de là. Ils étaient entourés de patriotes de toutes les religions et les confessions, islamiques et chrétiennes, comme en témoignent le Panthéon libanais en général et l'histoire des deux indépendances en particulier, chacun défendant son pays à sa manière. Mais le rôle de ces quatre patriarches, leurs choix et leurs prises de position ont été déterminants à des moments clés de notre histoire. Ils ont su faire entrer toutes les communautés chrétiennes en union avec toutes les communautés musulmanes et écrire des pages glorieuses de l'Histoire du pays du Cèdre. Que Sa Sainteté repose en paix. La gloire du Liban lui est donnée pour l’éternité.


vendredi 10 mai 2019

Les protestations surréalistes de la population libanaise contre les lignes à haute tension et la réponse non moins surréaliste du gouvernement (Art.611)


« Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses », et pourtant, « une seule est nécessaire ». C’est Jésus de Nazareth. Il était aux portes de Jérusalem. Il s’adressait à la patronne des lieux qui s’activait pour l’accueillir dignement, alors que sa sœur Marie buvait ses paroles sans se soucier des contraintes de l’hospitalité orientale.

2 000 ans plus tard, pas loin de la Ville sainte à Mansourieh, au pays du Cèdre, la population aussi s’active, s’agite et proteste, contre les lignes à haute tension. Et pourtant, l’essentiel est ailleurs. Ils respirent, boivent et mangent des molécules, des substances et des matières bien nuisibles pour la santé humaine, sans l’ombre d’un doute!, mais font une fixation sur les effets hypothétiques et très limités des lignes à haute tension sur leur santé, pourvu qu'on respecte les normes internationales en vigueur.

A Mansourieh, le gouvernement libanais également s’active, s’agite et utilise la force contre les protestataires. Et pourtant, l’essentiel là aussi est ailleurs. La consommation électrique au Liban bat des records (pas une habitation ou presque n’a pas la climatisation, même en montagne ! ; nous avons près de 1,5 million de réfugiés syriens dont une grande partie ne paie pas sa consommation), le vol du courant électrique au Liban bat des records (toutes les régions confondues, même dans les régions réputées de payer les factures, taxes et impôts ; ça peut atteindre 70% de l’électricité produite !), le gaspillage de l’argent public sur le secteur électrique bat des records (plus de 4,25 milliards $ jetés par les fenêtres et les poches d’intermédiaires turcs et libanais, à cause de la stupide idée des centrales flottantes). Et des tartuffes de gouvernants viennent faire croire à des candides de gouvernés que la boucle électrique Mansourieh fournira aux Libanais l’électricité publique 24h/24 sans qu’ils aient besoin de passer par les rapaces des générateurs privés. Mamma mia.

Boucle ou pas, lignes à haute tension ou pas, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce pays et dans l’esprit de certains de ses habitants et de ses dirigeants.

Qui se soucie de sa santé doit mettre toute son énergie pour lutter contre la pollution atmosphérique au Liban, surtout en dioxyde d’azote, ce serial killer silencieux, la barre rouge-orange-brune à l’horizon, visible pratiquement toute l’année!, produite par les moteurs, voitures, bus, camions, usines, centrales, feux, incinération sauvage de déchets, etc. J’en ai parlé en décembre à l’occasion de la publication d’une étude euroméditerranéenne. La quasi-totalité de la superficie du Liban, près de 90% des 10 452 km2, est polluée à un niveau maximal en NO2. C’est l’équivalent des régions parisienne et milanaise réunies, c’est plus qu’une grande métropole comme Le Caire. La pollution dans le monde c’est un décès toutes les 5 secondes. C’est le cas du Liban, un des pays les plus pollués de la planète. J’avais énuméré une longue liste d’idées de ce qu’il faut faire ou pas faire dans ce domaine. Trois points incontournables : ne pas rajouter d’autres sources de pollution à celles existantes (comme la stupide idée des incinérateurs des ordures ménagères pour produire de l’électricité !), réduire la consommation en tout genre (faut pas rêver, sans cela, on n’y arrivera jamais !), planter des arbres dans toutes les rues et routes libanaises (et des grands arbres svp, cèdres, oliviers, noyers, ficus, platanes, peupliers, etc. ; pas de petits arbustes et plantes ; et surtout, ne pas les tailler pour en faire de snobs et ridicules boules décoratives !).

J’ai consacré plusieurs articles au problème électrique au Liban. L’électricité au Liban coûte près de 5 milliards de dollars par an (énergie de l'Etat libanais via EDL, des centrales flottantes en location et des générateurs privés). Les plans des gouvernements libanais se suivent et se ressemblent. Le premier plan sérieux date de 2010, près de 20 ans après la fin de la guerre civile, soit dit au passage. On nous a promis le courant 24h/24 pour 2014. Et pourtant, ce n’est pas le cas en 2019 et ce n’est pas à l’ordre du jour à moyen terme. Ni à long terme d’ailleurs, hélas ! Et vous savez pourquoi ? C’est parce qu’on ne s’attaque pas aux sources du problème. Bienvenue au Liban, pays des palabres et des solutions à la mords-moi-le-nœud. Trois points incontournables là aussi : réduire la consommation électrique (sans cela, on n’y arrivera jamais, au grand jamais !), lutter contre le vol de courant (au moins, comme on a lutté contre les protestataires pacifiques de Mansourieh, en mobilisant les forces de l’ordre, l’armée et les FSI), encourager les énergies renouvelables (surtout solaires). Tenez, transformer les façades de toutes les tours de Beyrouth et des quatre coins du Liban, en centrales solaires. Au moins, on rendra l’hideux utile !

Quant au curé gonflé qui a osé utiliser une croix de 2 mètres de haut pour empêcher les travaux sur un pylône électrique à Mansourieh, il faut le mettre au pilori et le condamner à sillonner le Liban pour sensibiliser ses collègues d'hommes religieux musulmans et chrétiens, afin que la malédiction des voleurs du courant électrique au Liban figure dans les sermons du vendredi et du dimanche. Ça leur évitera de parler politique et d'être utiles, là aussi.


mercredi 1 mai 2019

L'article indécent du politologue libanais de gauche Ziad Majed sur l'incendie de Notre-Dame de Paris (Art.610)


Fêter le travail, alors qu'il y a autant de chômage, de précarité et de gens mécontents du leur, est de nos jours, tout simplement surréaliste pour ne pas dire indécent. Et puisqu'on y est parlons-en. L’élan de générosité pour le monument Notre-Dame de Paris, exprimée massivement par le peuple français et le monde entier, n’en finit pas d’aigrir certains esprits. Dernière victime en date, le politologue Ziad Majed, fondateur avec Samir Kassir, Elias Khoury et d’autres personnalités libanaises, du Mouvement de la gauche démocratique.

L’article qu’il a écrit le 27 avril dans Al-Quds Al-Arabi (la Jérusalem arabe) quotidien de langue arabe publié à Londres, est le moins qu’on puisse dire inconvenant. Entre nous, il est même indécent. C'est que l’incendie qui a ravagé une partie de la cathédrale parisienne fait encore couler beaucoup d’encre. Chacun y va de son angle de vue, de sa signature. Voici texto ce que cet intellectuel franco-libanais, habitué des plateaux TV français dès qu’il s’agit de la Syrie, a voulu partager avec les 50 000 lecteurs arabes du journal palestinien.

شبّه مراقبون حريق المبنى وأضراره بالحريق الذي يضرب منذ سنوات منظومة الكثلكة أو بالأحرى مؤسّساتها الكبرى في فرنسا وأوروبا

Des observateurs auraient comparé l'incendie de l'édifice parisien à l'incendie qui frappe l'Eglise catholique en France et en Europe depuis des années? Ah bon! Mais qui ça au juste? Lui par exemple! Au moins il faut avoir le courage d'assumer son opinion et de ne pas se cacher derrière son doigt.

فالكنيسة الكاثوليكية تعاني منذ مدّة مجموعة أزمات... فمِن تراجع أعداد... وتحوّل مبانيها إلى مواقع سياحية... إلى تصادم مفاهيمها المحافِظة بالتشريعات... إلى فضائح الاعتداءات الجنسية... وصولاً إلى السجالات الداخلية الفاتيكانية... ويبدو حريق نوتردام حريقاً تتخطّى حدوده أبراج الكنيسة العظيمة لتطال منظومة متراجعةً بأكملها

Et encore, c'est un résumé! De tout ce que l'on peut dire, et s'est dit et se dira, sur l'incendie de Notre-Dame de Paris, c'est l'accroche concoctée par Ziad Majed pour retenir l'attention des lecteurs du monde arabe! Ah mais il fallait là aussi que le politologue franco-libanais assume et ait l'audace d'aller jusqu'au bout du raisonnement et se demander si l'incendie n'était pas d'origine criminelle, elle aurait été allumée par le curé pour ressusciter une institution moribonde en pleine fête de Pâques, faire pitié quoi!, ou au moins, préciser aux lecteurs arabes que ce feu est une aubaine divine inespérée pour redorer le blason de l'Eglise catholique.

على أن الأهمّ من ذلك ربما، هو التعامل السياسي الذي أبرزته المواكبة الإعلامية المرئية والمسموعة للحريق العظيم، خاصة في الأوساط اليمينية الفرنسية (والأوروبية عامة)، التي وجدت في الحريق مناسبة للتذكير بجذور فرنسا (وأوروبا) المسيحية وبصفاء تلك الجذور

On se demande si on vit dans le même monde! Une couverture médiatique dans les milieux de la droite française et européenne qui a trouvé dans l'incendie l'occasion de rappeler les racines chrétiennes pures de la France et de l'Europe? Ah bon! Mais, comment ça, qui ça, où ça, qu'est-ce qu'ils ont dit au juste ces gens et qu'est-ce qu'ils représentent?

والتذكير هذا، في ما خلا كونه نوستالجيا لتاريخ لن يُبعث من جديد، إشارة إلى رفض (يائس) لما صارته فرنسا وسائر الدول... مختلفة الهويات والديانات... وهو، أي هذا التذكير، الذي وجد في الحالة العاطفية التي أحدثتها نيران الكنيسة وبعض أطرافها المتفحّمة مناسبة ليعبّر عن نفسه، يهدف في ما يتخطّى الحدث ذاته وتداعياته إلى الدعوة للفظ كلّ ما أضيف إلى الحضارة الفرنسية (والغربية) ... التعدّد هو بذلك مستهدف، والاختلاف الديني والعرقي الذي يصنع الهوية الفرنسية اليوم أيضاً مستهدف... والمؤلم بالنسبة لأصحاب المواقف المذكورة هو أنهم يدركون أن ما يتمنّونه من “صفاء” احترق منذ زمن غير قصير، والتهمته نيران أشدّ قسوة عليهم من نيران نوتردام، ولم يبق منه سوى أوهام وأحقاد عنصرية

Comme par hasard, pas de noms, pas de citations, pas de liens. Rien. Justement, rien que des allégations nécessaires pour guider les lecteurs du monde arabe vers une démonstration précise. La question est donc de savoir pourquoi un intellectuel intelligent, de nationalité française et d'origine arabe, était si dérangé par l'attachement de la majorité des Français et des étrangers à un des plus importants monuments de l'humanité, pas le seul loin de là!, Notre-Dame de Paris?

A la lecture de ce représentant de la gauche arabe, Ziad Majed, j'ai tout de suite penser au superbe article d'un monument de la gauche française, Jean-Luc Mélenchon, publié en un temps record, quelques heures seulement après le drame. « Athées ou croyants, Notre-Dame est notre cathédrale commune. Le vaisseau, la nef qui nous porte tous sur le flot du temps. Et je crois que nous l’aimons de la même façon… Bien sûr, Notre-Dame accueille tout le monde, et la foi catholique l’anime. Mais elle n’appartient à personne ou bien seulement à tout le monde, comme les pyramides du plateau de Gizeh… Que le bâtiment soit un édifice religieux n’empêchera jamais qu’il soit l’incarnation de la victoire de nos anciens contre l’obscurantisme… Des croisades, on ramena les sciences mathématiques, physiques et chimiques que l’Orient avait conservées. Elles germèrent dans les esprits… Notre-Dame est un message universel. Le peuple de France ne s’y est pas trompé. Toutes ses grandes heures y ont transité... Je me dis qu’elle ne brûlera jamais tout à fait. Il en restera toujours un morceau qu’un être humain voudra continuer vers le ciel. » Alors Ziad, el comandante par exemple, le leader de l'extrême gauche française, La France insoumise, est lui aussi peut-être un "nostalgique", qui "refuse ce que la France est devenue" et "regrette la pureté" de l'Europe? Pourquoi ne pas partager ce beau message rassembleur de Mélenchon dans le monde arabe au lieu de disserter sur quelques voix d'extrême droite qui ont tenté à une toute petite échelle et en vain d'exploiter l'événement?

J'ai aussi repensé à l'accroche de votre obligé, Bakhos Baalbaki. "Nous sommes nombreux à être consternés. Pas par la chute de quelques pierres... mais de voir ces flammes infernales dévorer une partie d’un édifice vieux de 856 ans. Notre-Dame de Paris... un monument extraordinaire à plusieurs égards... un monument français, catholique, parisien, public, artistique, littéraire, touristique, historique, national, international... qui fait partie de la mémoire et du patrimoine de l’humanité toute entière (...) Ne rien éprouver de spécial en voyant cette cathédrale brûlée, reflète un mépris flagrant pour ce que Notre-Dame de Paris représente, la France en général et Paris en particulier, ainsi que l’Occident en général et l'Europe en particulier, dans leurs multiples facettes, religieuse, historique et artistique. Cela s'applique pour n'importe quel patrimoine de l'humanité frappé par une catastrophe : Ayasofya à Istanbul, le Dôme du Rocher à Jérusalem-Est, le temple de Bacchus à Baalbek, les pyramides d'Egypte, la cité Machu Picchu au Pérou, la muraille de Chine, etc… Les grands coeurs, contrairement aux petits esprits, ont cette merveilleuse capacité d'être touchés à la fois par l'incendie de Notre-Dame de Paris, comme par le sort des SDF des capitales européennes et par la souffrance des populations moyen-orientales. L'un n'empêche pas les autres. " Apparemment ce n'est pas le cas de tout monde, certains comme Ziad Majed ont l'émotion exclusive et sélective.

فكثرة من المتبرّعين الكبار لإصلاح ما تضرّر وإعادة بناء ما تخرّب في جدران الكنيسة وأبراجها إنما فعلوا الأمر تخفيضاً لضرائبهم... وهذا يحيلنا إلى جانب من جوانب الأخلاق الفعلية للرأسمالية اليوم، التي لا شكّ أن نيرانها أكثر فتكاً وعدوانية تجاه مئات ملايين البشر من معظم الحرائق التي نشهد، في نوتردام وفي سواها.

Comme vous voyez, la suite n’est guère mieux. L’intellectuel franco-libanais qui "enseigne la science politique et les études du Moyen-Orient contemporain à l'université américaine de Paris", a disserté en long, en large et de travers sur les dons des Français, les grandes fortunes, pour la reconstruction de l’édifice parisien. Ziad Majed explique aux lecteurs arabes qu’ils l’ont fait pour la publicité et la réduction d’impôts (faux, beaucoup y ont renoncé!), que ces dons se font au détriment du budget de l’Etat concernant les actions sociales, l’éducation, la santé et les pauvres, les personnes sans-abri, les réfugiés (archifaux, la France reste championne mondiale des aides sociales et de la redistribution) et pour terminer en apothéose, l'intellectuel explique qu' « il ne fait aucun doute que le feu (du capitalisme) est plus meurtrier et agressif envers des centaines de millions de personnes que la plupart des incendies que nous voyons à Notre-Dame et ailleurs. » Mais, c'est quoi ce mélange des genres à 5 piastres! Hélas, les lecteurs arabes qui se limitent à Ziad Majed ne sauront jamais que des millions de Français et d’étrangers du monde entier ont fait des dons de 5, 10, 20 ou 50 euros pour la restauration d’un édifice qu'ils considérent comme le leur. Ils l’ont fait en toute authenticité sans des arrière-pensées pleines d’aigreur.

هكذا، ظهّر حريق مأساوي أصاب مبنى باهراً في عاصمة فرنسا مجموعة قضايا يستحقّ كلّ منها بحثاً مستفيضاً لن تنتهي صلاحيته مع إعادة بناء ما احترق، ولن تختفي آثاره كما اختفت بعض آثار الألوان على الجدران الكنسية. فالصراع على الهويات وعلى الأخلاق والتحسّر على الماضي يبدو نزعةً لن تمّحى في المستقبل القريب…

En résumé, de tout ce qu'on peut dire sur l'incendie de Notre-Dame de Paris, le politologue franco-libanais a voulu faire part aux lecteurs arabes des déboires de l'Eglise catholique et des fins publicitaires et pécuniaires concernant les dons de la reconstruction. Certes, chacun son angle de vue, mais l'article de Ziad Majed est pour le moins décevant, à côté de plaque, au ras des pâquerettes et même indécent.

Pour saisir à quel point il l'est, je termine ce post par la tribune publiée le 29 avril dans le journal Le Figaro, par 1 170 conservateurs du patrimoine, architectes des Bâtiments de France et professeurs d'histoire de l'art, des quatre coins du monde. Elle est adressée à Emmanuel Macron pour lui rappeler que la restauration de l'édifice parisien "doit se faire dans le respect de ce qu'est Notre-Dame, plus qu'une cathédrale parmi d'autres, plus qu'un monument parmi d'autres, en ayant une approche scrupuleuse, réfléchie, de la déontologie". Traduction : pas la peine de défigurer l'édifice avec de l'art contemporain, la restauration doit se faire à l'identique, personne ne peut s'octroyer le droit de donner libre cours à son imagination pour un héritage qui a 856 ans.

Pour ce faire, les éminentes personnalités ont exprimé leur émotion, comme moi, comme vous et comme tant de monde aux quatre coins de la Terre. "Monsieur le Président, Au soir du 15 avril, les regards du monde entier se sont tournés vers Notre-Dame de Paris embrasée, rappelant combien ce monument n'est pas seulement celui des catholiques, des Parisiens, des Français ou même des Européens, mais un de ces édifices que le génie de ses bâtisseurs successifs a légués à l'humanité... Nous avons tous conscience d'avoir échappé à un désastre majeur, celui de l'effondrement de la cathédrale et de la disparition avec elle de 850 ans d'histoire qu'elle conserve."Mais Ziad Majed lui est préoccupé par autre chose, le déclin de l'Eglise catholique, qui pourrait tirer profit de l'incendie, et les manigances des donateurs, tous de mauvaise foi! C'est l'angle de vue qu'il a choisi. C'est son droit. Mais pauvres lecteurs arabes qui n'ont eu droit qu'à ça!

Et dire que l'historien et journaliste franco-libanais Samir Kassir, cherchait "l'origine du malheur arabe" alors que celui-ci se trouvait assis derrière lui, en partie dans ces gauches libanaises et arabes prisonnières d'une idéologie réactionnaire révolue qui méprise viscéralement et sans discernement, l'Occident et son histoire, la droite et ses valeurs, l'Eglise et les riches, le religieux et l'argent, et j'en passe et des meilleurs. Elles sont toujours incapables de mûrir, de faire la part des choses, de comprendre une catastrophe et de se montrer à la hauteur de ses enjeux. Enfin, s'ils avaient été anarchistes, ils seraient plus crédibles et plus audibles.


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