Les mots ont évidemment leur importance.
Dans un article paru le 26 septembre, Lucien Jedwab, chef du service Correction du quotidien Le Monde précise : « Provisoirement, nous recommandons de
mettre “Etat islamique” entre guillemets lors de la première mention dans
l'article, si possible en précisant “l'organisation”. Ensuite, on s'évertuera à
mettre le sigle EI ». Bon, chacun son choix. C’est le mien depuis le début : l’usage
systématique des guillemets, ainsi que la désignation de la bande d'Abou Bakr
el-Baghdadi par l’organisation. Qui est intéressé par cette question
sémantique, peut lire l’échange que j’ai eu il y a une dizaine de jours à
l’occasion de la publication de mon article sur la « 4e guerre du Golfe ». En
voici un résumé.
Ce n’est pas seulement le mot « Etat » qui
pose problème, mais c’est aussi la référence « islamique ». Après maintes
réflexions, j’ai décidé contrairement à certains politiques et journalistes, de
désigner « l’Etat islamique » par « Etat islamique ». Je trouve que l’usage
systématique des acronymes Daech, ISIS ou ISIL, ne convient pas. Non seulement,
que c’est sous l’appellation « Etat islamique » que cette organisation
terroriste se fait connaitre, mais en plus, si on rentre dans le jeu de la
légitimité du mot "Etat" et de la susceptibilité pour le mot
"islamique", il va falloir s’astreindre à l’autocensure et changer
pas mal d’appellations et de noms courants. Tenez, par exemple, aux yeux de
certains « Abou Bakr el Baghdadi » porterait bien préjudice à Abou Bakr, le 1er
calife, et à Bagdad, la prestigieuse capitale de l’Irak ; le « Hezbollah »
porterait préjudice à « Allah » ; la « République islamique d’Iran » porterait
préjudice à la religion islamique aussi ; les « Born Again Christians »
porteraient préjudice au christianisme et même au Saint-Esprit ; « l’Eglise de
scientologie » porterait préjudice à « l’Eglise catholique » ; les « témoins de
Jéhovah » porteraient préjudice à « Jéhovah »; j’en passe et des meilleures.
Voilà pourquoi j’ai décidé d’opter pour la dénomination originale, et de la
cerner systématiquement par des guillemets, pour signifier que l’usage de
l'appellation « Etat islamique » est doublement abusif. Wa ektada el tawdi7.
J’ai évidemment hésité entre les
nombreuses options. Mon côté « scientifique » me faisait pencher dès le départ
plutôt vers l’appellation originale, et que pour les réserves, il fallait la mentionner
systématiquement cernée de guillemets. J’ai procédé ensuite par élimination. Je
trouvais les acronymes occidentaux, enfantins, stérilisés, voire sympathiques
(ISIS fait penser à la mythologique grecque !). « Daech » collait bien, le mot
à sonorité arabe accroche. Cet usage vaut celui de tout nom propre.
Personnellement, j’étais conforté dans le choix des guillemets, quand je me
suis rendu compte que cette multiplication des acronymes -Daech et même Dache/Déche
selon les prononciations des gens non arabophones, EI, EIIL, ISIL et même ISIS-
crée une certaine confusion chez les gens. Le plus comique, et c’est arrivée
avec d’autres personnes !, quand j’ai entendu ce mot la toute première fois,
j’ai cru qu’il s’agissait d’une personnalité poussiéreuse sortie de je ne sais
où ! Autre règle, que j’ai appliquée dans l’article 242, c’est l’usage fréquent
du mot « organisation » pour désigner cet « Etat », et souligner son côté
primitif.
Réf.
Comment désigner l'« Etat islamique » sans en faire la com ? Pascal Galinier, Le Monde 26.9.2014