vendredi 9 août 2019

A propos de l'appel à écouter Mashrou' Leila partout au Liban : dans les maisons, voitures, plages, montagnes, rues, restaurants, villes, villages, radios et sur les réseaux sociaux (Art.637)


🇱🇧 Quand la société civile se mobilise, ça donne ça. « Le 9 août 2019 à 21h, date à laquelle le concert de Mashrou' Leila devait avoir lieu... Dans nos maisons, dans nos voitures, sur nos téléphones, sur nos plages, au sommet de nos montagnes, dans nos rues, depuis nos balcons, dans nos restaurants, dans nos rassemblements, dans nos festivals, où que nous soyons au Nord et au Sud, dans la Bekaa et le Mont-Liban, dans nos villes et nos villages, sur tous nos canaux et sur toutes nos ondes, en direct sur les réseaux sociaux... Ensemble, nous allons ramener la seule chose qui nous reste de notre pays, la liberté d'expression. » Eh bien, il y a de quoi regretter la société politique !

Sans hésitation, palme d’or de l’action la plus grotesque. Primo, à cause de l’affirmation simpliste que la liberté d’expression est la seule chose qui nous reste au Liban. Secundo, à cause de cet appel démesuré d’agir partout, en tout lieu et aux quatre coins du Liban, pour une affaire à la portée très limitée (non mais de grâce, laissez la haute montagne à l'abri du vacarme humain et urbain !). Tertio, d’officialiser le recourt à l’arbitraire (que l’on soit pour ou contre Mashrou’ Leila), le Kangaroo Court, et non à l’état de droit, la justice.

Et voilà nous jouons les prolongations et c’est parti pour un nouvel acte dans la tragicomédie qui se déroule actuellement sur la scène libanaise. Mais je suis fort étonné que « SK Eyes » ait censuré mon apparition dans le clip (lien dans les commentaires), où je disais que ce vendredi sera encore plus fun avec des muezzins chantonnant « Idols » du haut des minarets, des prêtes fredonnant « Djinn » de fond des sacristies et Mashrou’ Leila, par qui le scandale est arrivé, ouvrant leur prochain concert avec le cantique dédié à Marie « fi zoll 7imayatiki, naltaji2ou ya mariyam في ظلِّ حمايتكِ نلتجيءُ يا مريَم ». Plus marrant et plus intéressant comme défi 😋

Vraiment dommage que l’ONG « Samir Kassir Eyes » ait raté magistralement cette formidable occasion pour mettre en lumière une évidence beaucoup plus importante que la « liberté d’expression », puisqu’elle l’inclut !, l’état de droit, avec un « e » minuscule soit dit au passage. Et j’en profite pour rappeler d'abord à toutes et à tous que l’état de droit est un concept juridique portant sur la prééminence du droit dans un État digne de ce nom et que tous les citoyens, gouvernants et gouvernés, admirateurs et détracteurs de Mashrou’ Leila ou d’abouna Theodoros Daoud, se doivent d’obéir à la loi. Rappelons ensuite que la liberté d'expression garantie par les lois en vigueur au pays du Cèdre se heurte à l'interdiction du blasphème par d'autres lois en vigueur. Rappelons enfin que la Constitution de la République libanaise ainsi que la législation libanaise, ne sont pas des supermarchés, où chacun choisit les articles qui lui conviennent.

Comme aux actions éphémères je préfère le développement durable, aujourd’hui je décline l'appel de SK Eyes, je ne partagerai pas les chansons de Mashrou’ Leila. L’action me semble superficielle et stérile. Pour protéger le droit de tout un chacun au Liban (à la fois de ce ceux qui crient à l’atteinte grave à la liberté d’expression, comme de ceux qui crient au blasphème), et pour garantir une vie en société paisible alors que les opinions sont divergentes (pour et contre sur tous les sujets), il faut établir des règles et des principes intemporels.

Chacun est libre de penser ce qu’il veut des articles, des livres, des chansons, des photographies, des illustrations et des posts des uns et des autres. Zapper demeure la règle d’or en cas de désaccord. Qui n’y arrive pas se lance dans le Ice Bucket Challenge. Si ce n’est pas suffisant, il/elle peut s’exprimer, critiquer et échanger intelligemment. Qui est froissé ou se sent menacer par un commentaire sur les réseaux sociaux, peut bloquer son auteur-e en toute simplicité. Qui est offensé par quoi que ce soit peut porter l’affaire devant les tribunaux pour tenter d’obtenir réparation. Des juges spécialisés trancheront, en application des lois en vigueur au Liban. Le jugement, qu’il soit juste ou pas, s’impose à tous. Qui n’est pas satisfait, épuise les voies de recours ou se lance de nouveau dans le Ice Bucket Challenge. Et qui trouve que la législation libanaise est trop laxiste ou très répressive, milite activement et pacifiquement pour la changer. Et basta cosi.

Aujourd’hui, les uns exprimeront leur attachement à la liberté d’expression en écoutant Mashrou’ Leila. C’est leur droit. Personnellement, je souhaite pour mon Liban, une action d’envergure plus inclusive, plus efficace et plus ambitieuse, mettre en lumière ce « code des usages », que j’ai résumé en quelques lignes, qui permettra de faire accéder la société libanaise à la maturité, de vivre dans le meilleur des mondes et d'éviter d'avoir à se soumettre à la foule et à l'arbitraire, en écoutant en boucle et jusqu’à la fin des temps, The Kangaroo Court de Capital Cities ☺️

#KangarooCourt #للوطن


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