dimanche 12 mai 2019

Décès du patriarche maronite Mar Nasrallah Boutros Sfeir, parrain de l'indépendance du Liban du joug de la Syrie, après 29 ans d'occupation (Art.612)


Rarement « une page se tourne » n’a eu autant de sens qu’aujourd’hui. Le 76e patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient, Mar Nasrallah Boutros Sfeir, nous a quittés à l’âge de 99 ans. Avec son départ, c’est tout un pan de l’histoire du Liban qui part aux archives.


Il ne se regardait pas dans un miroir tous les matins, ni pour se raser ni pour se pomponner, comme certains. Il ne se teignait pas les cheveux tous les mois, ni pour apparaitre plus jeune ni pour faire bonne figure, comme quelques uns. De son vivant, il n’était adepte ni de la langue de bois ni des palabres. De tout temps, il n’était partisan ni de "tebwiss el lé7é" ni de "la ghalib wala maghloub". Avec lui c’était le mot juste, ni plus ni moins ; la réflexion pertinente, pleine de sagesse ; la pique acerbe, avec le sourire narquois.

S'il s’est penché sur les conditions de vie de ses compatriotes et les injustices sociales, le nom du patriarche Mar Nasrallah Boutros Sfeir restera associé au 30e synode patriarcal maronite qui s’est réuni entre 2004 et 2006, considéré comme le 2e plus grand synode de l’histoire de l’Eglise maronite depuis sa fondation au 5e siècle, après celui de 1736. Près de 450 participants ont pris part aux débats, en présence de représentants chrétiens des Eglises catholiques, orthodoxes et protestantes, ainsi que des représentants musulmans, sunnites, chiites et druzes. Au final, 23 textes seront adoptés. Ils concernent l’identité de l’Eglise maronite (sa vocation et sa mission au Liban, en Orient et dans le monde), la structure et l’organisation interne (la hiérarchie, la vie monastique, le cathéchisme, la liturgie, etc.) et surtout, les enjeux contemporains (politique, enseignement, culture, économie, affaires sociales, médias, Terre, etc.). Chaque texte comporte des recommandations sur la manière dont l’Église maronite abordera ce sujet à l’avenir. Impossible d’en faire un résumé en quelques lignes. S’il ne faut retenir que quelques phrases, qui sont à l’image du défunt patriarche, c’est bien celles sur l’identité maronite et les relations islamo-chrétiennes.

« L’identité des maronites n’est ni nationale ni ethnique, mais ecclésiale… La double communion de l’Église maronite avec le patrimoine syriaque antiochien et le siège de saint Pierre a permis à l’Église maronite d’être un pont et de passer l’esprit de l’Orient en Occident et l’esprit de l’Occident en Orient (…) Comme ils (les maronites) ont édifié au Liban une patrie avec leurs frères musulmans… ils se considèrent également concernés par le destin du Machrek arabe (…) Notre Église proclame sa solidarité avec nos frères musulmans dans cet Orient et avec les peuples arabes opprimés (…) Le dialogue islamo-chrétien est la voie de l’avenir, non seulement dans cette région, mais dans le monde entier. »

Prêtre, curé de paroisse, évêque, patriarche et cardinal, il a su gravir les échelons et rester toute sa vie, un humble chrétien digne des enseignements de Jésus de Nazareth.

Beaucoup de ses compatriotes contemporains ont mis de l’eau dans leur vin, changé de cap, tourné leur veste ou filé à l’anglaise. Ils ont eu des agendas parallèles, des objectifs inavouables et des arrière-pensées. Ils ont commis des fautes graves et des erreurs impardonnables. Pas lui. Jamais. Et de ce fait, hélas, il est le dernier des Mohicans du pays du Cèdre.

L’histoire réservera à Mar Nasrallah Boutros Sfeir dix grands chapitres d’une vie bien remplie.

1. Défenseur du Liban libre, souverain et indépendant
2. Opposant à la tyrannie des Assad père et fils, même en pleine période de terreur (1990-2005), n’en déplaise aux ex-8Mars
3. Initiateur du mouvement qui a conduit à libérer le Liban de l’occupation syrienne (2000)
4. Défenseur de la cohabitation fraternelle islamo-chrétienne
5. Opposant à l’anomalie que constitue la situation du Hezbollah au Liban, n’en déplaise aux hezbollahi-compatibles en tout genre
6. Voix de la raison, à des moments où plus personne n’en avait, notamment vers la fin de la guerre libanaise, lors des batailles de Libération et d’Élimination (1988-1990)
7. Militant qui n’a pas hésité à mouiller sa soutane pour empêcher la victoire des ex-8Mars aux élections législatives de 2009, n’en déplaise au Hezbollah et au CPL
8. Organisateur de sa propre succession et de son vivant, encourageant le pape Benoît XVI à lui emboîter le pas
9. Maitre de la langue arabe, parlant le latin, le français, le syriaque et l’araméen
10. Farouche opposant à toute atteinte à la Constitution libanaise, quelles qu’en soient les raisons et les circonstances. Pour l’accord de Taef sans hésitation, n’en déplaise à beaucoup de monde de tous les bords, notamment des ex-8Mars, et contre la destitution par la force du président de la République libanaise, Emile Lahoud, n’en déplaise aux ex-14Mars spécialement. Point capital pour l'avenir du Liban, que tous les prétendants politiques tâchent de s'en souvenir.

Mar Nasrallah Boutros Sfeir est allé rejoindre le Panthéon libanais où reposent des grands noms de notre pays : Rafic Hariri, Bachir Gemayel, Moussa el-Sader, Kamal Joumblatt, Camille Chamoun, Charles Malek, Sabah, Fouad Chehab, Riad el Solh, Gibran Khalil Gibran, Hassan Kamel el Sabbath, Ahmad Fares el Chidiac, Tanios Chahine, Youssef beik Karam, Fakhreddine, et j’en passe et des meilleurs. Impossible de les citer tous.

La gloire du Liban lui sera donnée. Comme elle a été donnée à son Eglise et ses prédécesseurs.
• Sans le patriarche Boulos Massaad, il n’y aurait peut-être pas eu de Mont-Liban autonome de l’Empire ottoman en 1861.
• Sans le patriarche Elias Houayek, il n’y aurait peut-être pas eu de Grand-Liban sous un mandat de la Société des Nations en 1920.
• Sans le patriarche Antonios Arida, il n'y aurait peut-être pas eu de Pacte national islamo-chrétien et d'indépendance du Liban de la France en 1943.
• Sans le patriarche Nasrallah Sfeir, il n’y aurait peut-être pas eu de Liban libéré de l’occupation de la Syrie en 2005 et de seconde indépendance.

Tous ces patriarches n’étaient évidemment pas seuls à œuvrer pour le Liban, loin de là. Ils étaient entourés de patriotes de toutes les religions et les confessions, islamiques et chrétiennes, comme en témoignent le Panthéon libanais en général et l'histoire des deux indépendances en particulier, chacun défendant son pays à sa manière. Mais le rôle de ces quatre patriarches, leurs choix et leurs prises de position ont été déterminants à des moments clés de notre histoire. Ils ont su faire entrer toutes les communautés chrétiennes en union avec toutes les communautés musulmanes et écrire des pages glorieuses de l'Histoire du pays du Cèdre. Que Sa Sainteté repose en paix. La gloire du Liban lui est donnée pour l’éternité.


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