lundi 23 septembre 2019

Les députés libanais sont appelés à suspendre la loi sur les locations anciennes en attendant l'étude des amendements proposés (Art.643)


Comme la plupart des pays du monde, le Liban avait des lois qui protégeaient les Libanais de la spéculation immobilière via un contrôle des loyers. A Beyrouth, comme à Paris et à New York, les législateurs ont suivi le même raisonnement : laisser le marché entièrement libre pour s'auto-réguler conduit inexorablement à une explosion des loyers accroissant les inégalités dans la société, ce qui n'est dans l'intérêt de personne, à commencer par les propriétaires de biens immobiliers. En l’an de grâce 2019, même dans la plus belle ville du monde et une des plus chères, Paris, il y a un certain contrôle des loyers. Pas assez pour les uns, beaucoup trop pour les autres, qu'importe, il y a bel et bien un contrôle des loyers. A Berlin, les loyers sont bloqués jusqu’en 2024. A New York, San Francisco et Washington, on ne peut pas toujours fixer librement les loyers même de nos jours. Les premières lois libanaises en la matière datent des années 1930. C’est pour vous dire combien le Liban était en phase avec le monde progressiste dans ce domaine.

En 2014, à la hâte et à la dérobée, les députés de la nation ont voté à l’unanimité presque, une loi composée d'un article, un bloc de loi pour éviter tout débat détaillé sur le sujet, la libération sauvage des loyers au Liban. Enno bél mchabra7 wou bala mouwékhazé, metel el 7aramiyé. La location d'un appart de 100 m2 à Beyrouth devait passer en 5 ans et non 9, de moins de 1 000 $/an à plus de 10 000 $/an, sachant que le salaire minimum libanais n’est que de 450 $/mois. Houston we have a problem, un des deux chiffres est surréaliste. Bass la 7ayata liman tounadi. On pensaient naïvement qu’au pays du Cèdre les représentants du peuple descendaient des singes comme ce dernier, il s’est avéré qu’ils descendent des crocodiles! Tmési7. Rendez-vous compte, s’ils avaient réussi à appliquer la nouvelle loi des loyers en 2014, nous ne pourrions plus trouver un appartement à moins de 1 000 $/mois à Beyrouth (au moins dans les beaux quartiers) dès 2019. Mais nous y sommes déjà.

Merci qui ? Merci le Futur de la part des habitants de Tarik el-Jdidét, merci le CPL de la part des habitants de Sioufi, merci les FL de la part des habitants de Karm el-Zeitoun, merci le Hezb de la part des habitants de Harit Hreik, et sans oublier un grand merci pour le PS de la part de tous les adhérents à l'Internationale socialiste, et j'en passe et des meilleurs. Ils défendent tous le peuple. Et pourtant, ils sont tous des imposteurs! Et que personne ne m'en veuille ou ne se vexe, un imposteur d'après le CNRTL est "celui qui trompe, qui abuse autrui par de mensonges, de fausses promesses, dans le but d'en tirer un profit matériel ou moral", voire électoral! Prouvez-le et je m'autoproclame, roi des imposteurs!

La nouvelle loi des loyers est à l’image des représentants du peuple libanais, une copie à revoir. Et comment, elle ne satisfait ni les locataires ni les propriétaires. Cinq ans après, on se bat encore et toujours sur :
- la date d’entrée en vigueur de la loi (2014 quand elle a été votée, 2017 quand elle a été modifiée ou 2019 à l’aube d’un nouvel examen); c'est capital puisque la date fixe le top-départ des délais ;
- l’ampleur de l’augmentation annuelle des loyers à terme (1 à 5 % du prix de vente, soit 200-1000 $/mois par exemple);
- le montant des aides au logement accordées aux plus démunis et le revenu de ceux qui peuvent en bénéficier ;
- le montant des indemnisations en cas d’expulsion des locataires avant la fin du bail ou d’un départ volontaire des locataires, et qui les paient (l’Etat ou les propriétaires);
- et surtout, le devenir des locataires anciens à la fin du nouveau bail quand les loyers seront libres càd après-demain, dans quelques années ! Une fois mis à la porte, ils iront où au juste ?

Demain mardi 24 septembre, le Parlement se réunira de nouveau pour se prononcer sur la suspension, pas la suppression, de la nouvelle loi des loyers, en attendant l’examen de nouveaux amendements. Il y aura un sit-in place Riyad el-Soleh à Beyrouth à 10h organisé par les locataires anciens. Un homme mène le combat depuis cinq ans pour rendre la loi plus juste. Infatiguable, il ne fait pas de poésie, il parle de lois, de droit et de justice sociale. Il garde son humour, malgré la gravité de la situation. Au journaliste qui se révoltait parce qu'il ne lui a pas laissé le temps de poser ses questions, il l'a regardé faussement surpris et lui a balancé d'un air faussement étonné: "chou bék m3assab, baddak yi'jiboulak kebbéyit maï?" :D C’est un héros à sa manière. Qui est-ce à votre avis? Nooon ce n’est ni Saad Hariri ni Gebrane Bassil. Ah sauf votre respect, ces deux-là ne sont pas forcément contre les locataires, mais ils sont plutôt pressés d’en finir avec cette affaire qui traine depuis des décennies ! Il est avocat et il est patient comme un renard. Il s’appelle Adib Zakhour et il n'est pas le seul de sa profession à se mouiller, Dieu merci.

A bien y réfléchir, une loi du logement juste doit à mon humble avis :
- (con)sacrer le droit au logement pour tous les Libanais
- (con)sacrer le droit à la propriété pour tous les Libanais aussi, il ne faut pas se tromper de combat
- introduire un certain contrôle des loyers à long terme
- maintenir impérativement les classes moyennes dans tous les quartiers de Beyrouth et dans les grandes villes libanaises, c'est un point capital
- maintenir les natifs de Beyrouth dans leur ville
- maintenir toute la ville de Beyrouth accessible aux classes moyennes, c'est primordial
- ne pas offrir Beyrouth aux promoteurs sans scrupule, aux interminables chantiers, à la poussière et aux bruits, basta cosi, nous en avons marre!
- ne pas faire de Beyrouth et de certains quartiers de la capitale libanaise une enclave coloniale, un Disneyland, une zone stérile et des rues fantômes où résident que des classes libanaises aisées qui vivent dans leurs bulles, des expatriés libanais déconnectés du peuple et de riches ressortissants arabes qu’on ne voit jamais.

« ‘Beirut Madinati’ wa men 7aqqi el baka2 fiha ». Beyrouth est ma ville et j’ai le droit d’y rester. Eh oui ce slogan que j’ai créé avec d’autres activistes, nous a été piqué par le mouvement beyrouthin, sans un merci soit-dit au passage, à l’occasion des élections municipales de 2016. 3adé. Mais nous, albna kbir, nous avons fermé les yeux considérant ce slogan libre de droit, à condition que les intéressés s’engagent à suivre notre précepte!

En 1990, à la sortie de la guerre civile, il fallait seulement une dizaine d’années de salaire minimum (sans dépense) pour s’acheter un appartement de 100 m2 à Beyrouth. Aujourd’hui (comme en 2014), il en faut une cinquantaine ! Hallucinant, mais c’est la triste réalité. Ce n’est évidemment pas la faute des propriétaires, c’est la faute des dirigeants libanais, ministres, députés et hommes politiques incapables d’anticiper les problèmes et de voter des lois justes pour tous les enfants de la patrie. L'illustration publiée dans les commentaires résume bien la situation désastreuse dans laquelle se trouve une grande partie du peuple libanais.

Ainsi, à une époque :
- où l’économie libanaise est dans un état lamentable (vous n’avez qu’à demander autour de vous !),
- où la dette publique est de 85 milliards $ (150% du PIB),
- où le Moyen-Orient risque de s'embraser à tout moment,
- où nous sommes réduits à mendier des prêts et des dons aux quatre coins du monde (Paris III et ses 11 milliards $ de promesses),
- où il n’y a plus un logement libre au Liban à cause du séjour prolongé et à durée indéterminée de 1,5 million de réfugiés syriens,
- où le patrimoine du Liban est détruit sans état d’âme à Beyrouth (cas de Bernard Khoury & Co, qui accepte d'associer son nom à la démolition de la « Grande Brasserie du Levant » qui a vu naitre la bière Laziza, pour construire une tour snob sous l’appellation bobo de « Mar Mikhaël Village »!) et à Marj Bisri (qui est en train d'être rasé par le gouvernement libanais, le Conseil du développement et de la reconstruction et la Banque mondiale, pour construire un aberrant barrage sur une faille sismique, alors que toute la tuyauterie privé et public fuit au Liban), comme à Qornet el-Saouda aussi (où le ministère de l’Agriculture prévoit de construire un lac dans une zone de la haute montagne, protégée et disputée entre les régions de Bcharré et de Déniyé),
- où les rapaces de l'immobilier osent abattre en toute impunité un chef d'oeuvre du Vieux Beyrouth comme celui que nous avons eu la chance de photographier à Achrafieh il y a quelque temps (photo ci-jointe),
- où la laideur architecturale se répand aux quatre coins du pays du Cèdre,

On ne peut que reposer les mêmes questions aux députés libanais qui se réuniront demain et qui légifèrent apparemment sans trop se soucier des conséquences de leurs actes :
- êtes-vous sûrs que Dubaï est le meilleur modèle d'urbanisme pour Beyrouth,
- êtes-vous fiers d'une loi qui ne satisfait ni locataires ni propriétaires,
- tenez-vous vraiment à ce qui s'apparente à une opération ‘Solidere 2’ mais qui n'ose pas dire son nom,
- comment espérez-vous sauver quoi que ce soit de ce qui reste de l'âme de Beyrouth, ne serait-ce que ces magnifiques persiennes d'antan, en libéralisant les loyers anciens,
- voulez-vous sincèrement expulser une frange des Libanais de leur ville,
- voulez-vous résoudre l'injustice qui a longtemps frappé les propriétaires en créant une injustice qui frappera les locataires jusqu'à la fin des temps,
- croyez-vous être capables d’échapper encore longtemps à la colère du peuple en rendant le Liban inabordable pour la majorité des Libanais et Beyrouth inaccessible à une grande partie des classes moyennes ?

Sit-in mardi 24 septembre, place Riyad el-Soleh à Beyrouth à 10h. Le Parlement se réunira de nouveau pour se prononcer sur la suspension, et non la suppression, de la nouvelle loi des loyers, en attendant l’examen de nouveaux amendements. C'est l'occasion de rectifier le tir et d'amender la loi pour qu'elle soit conforme et digne de la commémoration du centenaire de l'État du Grand Liban en 2020.


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