samedi 16 mai 2020

Le Liban demande la confiance et un financement de la communauté internationale, alors qu'il n'est toujours pas décidé à contrôler sa frontière avec la Syrie (Art.787)


« Aide-toi, le Ciel t’aidera », conclut La Fontaine une de ses fables, Le Chartier embourbé. Eh non, ça ne vient pas de la Bible. Le Liban est également embourbé, sauf que ses chartiers ne s’aident pas, mais espèrent naïvement que le Ciel les aidera.

Après des mois de tergiversations, le gouvernement de Hassann Diab s’est décidé enfin à demander l’aide du FMI. Pour ce faire, il a présenté un plan de réformes. La propagande officielle voudrait nous faire croire qu’il est « historique ». Et comment ! Officiellement le dollar américain passera à 4 300 LL. Qui avait 100 $ sur son compte dans la monnaie nationale, n’aura plus que 33 $ sur son relevé. نعيماً pour le haircut.

En contrepartie, le pays du Cèdre espère obtenir des aides financières conséquentes pour redémarrer la machine. Une dizaine de milliards de dollars, rien que ça. En pleine récession au niveau mondial où le surendettement menace les potentiels donateurs, les pays arabes et occidentaux, certains compatriotes ont espéré que le pouvoir en place, le quintette Aoun-Bassil-Diab-Berri-Nasrallah, aura l’intelligence de se montrer bon élève. Que de naïveté !

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Au commencement du nouveau chapitre de l’histoire, il y a le scandale du trafic d’hydrocarbures et de farine vers la Syrie, des produits achetés en devise étrangère, le dollar, et dont le prix de vente est soutenu par la Banque du Liban. Scandale à triple dimension, le dossier est accablant. Jusqu’où remontera l’enquête, si enquête il y aura ? Nulle part. Et pourquoi ? A cause de « l’anomalie » que constitue la situation du Hezbollah au Liban.

Le scandale cache en réalité un problème de plus grande importance, celui des frontières grandes ouvertes entre le Liban et la Syrie. Ce fut déjà le cas tout au long de l’occupation du Liban par la Syrie, de 1976 à 2005. Beaucoup de compatriotes ont espéré un changement radical à la seconde indépendance. Mais c’est sans compter avec les deux camps politiques du Liban.

. D’une part, les pro-Assad. Ils sont légion. C’est la majorité d’aujourd’hui. C’est le camp du 8-Mars d’hier, celui qui s’est formé place Riad el-Solh derrière le slogan « Merci la Syrie des Assad », Nasrallah, el-Sayyed, Frangié et Berri notamment. A la formation originelle se sont joints en février 2006, Aoun et Bassil.

. D’autre part, les anti-Assad au Liban, le fameux camp du 14-Mars de la place des Martyrs, Hariri, Joumblatt et Geagea notamment, qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Il n’a jamais eu le courage d’avoir les moyens de ses ambitions. Il est mort de sa belle mort, en soutenant en 2016, deux figures importantes du camp adverse, les pro-Assad, Frangié et Aoun, pour la présidence de la République.

La situation s’est considérablement détériorée entre 2011 et 2014, lorsque le camp du 8-Mars, a pu accéder seul au pouvoir, grâce à la volte-face de la girouette de Mekhtara, W. beik. Le pouvoir, la coalition formée autour du président Sleimane et du Premier ministre Mikati (Nasrallah, Berri, Joumblatt, Frangié, Diab lui-même, Bassil, Aoun, etc.), a tout fait pour garder les frontières libano-syriennes grandes ouvertes à tous les trafics et dans les deux sens. Cette politique a eu trois conséquences nuisibles : l’implication du Hezbollah dans le bain de sang de la guerre civile syrienne ; l’afflux de millions de réfugiés et de déplacés syriens (moitié de la population libanaise, un casse-tête sans solution à moyen terme) ; l’installation des jihadistes syriens sur les versants ouest de l’Anti-Liban.

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Belote et rebelote, les ex-8-Mars sont de retour en janvier 2020, seuls comme en 2011-2014, à cause des caprices de Hariri et des orientations à courte vue de Geagea-Joumblatt. Le pire est à craindre. Alors que le scandale du trafic fuel-farine exige le contrôle de la frontière syro-libanaise d’une main de fer, le gouvernement de Hassann Diab ne fera rien dans ce sens, parce qu’il est hezbollahi compatible et le hezb ne le souhaite pas.

Son chef l’a fait savoir officiellement jeudi. C’était à l’occasion de la commémoration de la mort de Moustafa Baddreddine en Syrie (2016). Le présumé cerveau de la cellule terroriste qui a organisé et exécuté le projet d’assassinat de l’ex-PM du Liban, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes, poursuivi par un tribunal international dans ce meurtre odieux, a été qualifié avant-hier de « grand chef jihadiste, bien-aimé et cher frère ». Malgré cela, le gouvernement et la ministre de la Justice, sont restés aux abonnés absents. Et ça va demander une aide internationale !

. Le chef du Hezb a insisté sur « le rétablissement de relations de coopération normale entre le Liban et la Syrie, qui serait soi-disant dans l’intérêt du Liban plus que de la Syrie, et nous permettrait d’exporter nos produits vers l’Irak via la Syrie ». C’est comme si les règnes de la tyrannie des Assad père et fils, au Liban et en Syrie, ne sont entachés ni de terreur et ni d’horreurs.

. Il a affirmé que « le poids de la contrebande entre le Liban et la Syrie est surestimée et son contrôle impossible, il est au-dessus des moyens de l’armée libanaise ». Le dénigrement de l’institution militaire comme toujours, pour justifier la pérennité de l’anomalie de la milice du Hezb au Liban.

. Hassan Nasrallah a sous-entendu que « le passage des miliciens et des armes du Hezbollah par la frontière syro-libanaise est hors de débat ». La souveraineté libanaise reste donc privatisée jusqu’à nouvel ordre.

. Il a « refusé catégoriquement que le Liban demande la contribution de l’ONU pour l’aider à sécuriser la frontière syro-libanaise ». Non seulement l’ONU en serait incapable mais ça serait selon le chef du Hezbollah un des objectifs israéliens de la guerre de Juillet 2006 et cela affecterait la force de dissuasion qui protège le Liban face à Israël ». Mais voyons, c’est une telle force de dissuasion qu'en 2006, Israël a pu s'acharner sur le Liban pendant 33 jours (tuant 1500 personnes, déplaçant 750 000 personnes et occasionnant une douzaine de milliards $ de pertes et de dégâts); que depuis 2006, le chef du Hezb est obligé de préenregistrer ses discours dans un bunker et de ne pas dormir deux nuits de suite dans le même lit ; et que depuis 2011, Israël bombarde les bases du Hezb et de l’Iran en Syrie, quand et comme bon lui semble.

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Le contrôle de la frontière entre le Liban et la Syrie, on en parle depuis la nuit des temps. En vain. Les ex 8-Mars ne veulent pas en entendre parler et les ex 14-Mars n'ont jamais eu le courage d’avoir les moyens de leurs ambitions. Le timing du discours de Hassan Nasrallah ne doit rien au hasard. Il vise à saboter la démarche entreprise par le gouvernement libanais de Hassann Diab auprès du FMI, surtout après le succès du premier round des discussions pour obtenir la douzaine de milliards de dollars promis par la conférence CEDRE en 2018 à condition de faire des réformes. Le chef du Hezb veut rendre la route de Damas comme la seule voie de secours pour le Liban, pour nous placer au ban des nations avec la Syrie et l'Iran. Il veut aussi rendre Bachar el-Assad comme le grand sauveur du Liban, alors qu'il sera le fossoyeur du pays du Cèdre, il ne pense qu'à sa colonisation via les réfugiés syriens d'ailleurs. Le discours n’a suscité aucune réaction de la part des alliés du Hezbollah, Michel Aoun, Hassann Diab, Gebrane Bassil et Nabih Berri. Et dire qu'ils espèrent convaincre le FMI de leur faire confiance ! C’est méconnaitre et le FMI et les pays donateurs et cette fable de La Fontaine, « Aide-toi, le Ciel t’aidera ».


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki