Qui suit les déclarations de Saad Hariri depuis cinq ans jusqu’à hier, ne peut qu’être étonné parfois par la ligne politique de l'ex-Premier ministre libanais.
En 2015, le chef du Courant du Futur a tenu en coulisse puis en public, à commercialiser la candidature de Sleiman Frangié à la présidence de la République. Proposer celui qui considère Bachar el-Assad comme « son frère » et Hassan Nasrallah comme le « maître de tous », pour aller jurer devant Dieu de « protéger la Constitution libanaise », constituait une grave erreur politique, surtout de la part du fils de Rafic Hariri. On connait la suite. La gageure a précipité Samir Geagea dans les bras de Michel Aoun, une lourde faute politique aux conséquences désastreuses ! Depuis, rien ne va plus entre tout ce beau monde, ni entre les ex-piliers du 14-Mars ni entre les ex-ennemis réconciliés.
Au cours de ses innombrables points de presse, cheikh Saad adopte au sujet de son ex-allié du 14-Mars, une des deux attitudes. Parfois, c’est comme si le chef du parti des Forces libanaises n’existe pas. Ce fut le cas il y a quelques jours, lors de la « دردشة » avec les journalistes. Disons c’est justifié. D’autre fois, c’est comme si el-hakim est le cœur du problème. Ce fut le cas par exemple lors de la désignation du nouveau Premier ministre Hassann Diab, après la démission de Saad Hariri le 29 octobre 2019. Ce dernier a pardonné à tout le monde de ne pas l’avoir reconduit, sauf à Samir Geagea. C’est injustifiable surtout que le blocage pour cette reconduction venait de son caprice politique, qu’on peut résumer ainsi : moi, homme politique ayant gouverné et contrôlé les gouvernements pendant 11 des 14 dernières années de 2005 à 2019, accepte d’être de nouveau Premier ministre, mais je ne veux aucun politicien dans mon prochain cabinet ! Une façon rusée et malhabile de tenter de récupérer la rue protestataire qui réclamait plutôt un gouvernement technocrate de la tête au pied.
Passons sur les joutes verbales régulières qui opposent Saad Hariri à Gebran Bassil depuis un moment. De « صدقي » pour lequel les électeurs du Futur devaient voter lors des élections législatives de 2018, نكاية بالحكيم, à « فشر على رقبتك » hier, نكاية بالجنرال. Bon, disons que GebB peut se montrer très lourd. Il est parfois, même souvent, une tête à claques, surtout quand « Monsieur Fiasco », surnom décerné et hautement mérité pour sa gestion désastreuse du secteur électrique (qui laisse un trou cumulé de 45 milliards $, la moitié de la dette publique du Liban), se prend pour « Don Quichotte de la République libanaise », comme il se voit tous les matins devant le miroir de sa salle de bain, et prétend lutter contre la corruption et le gaspillage de l'argent public.
Ce qui attire l’attention dans les fraiches déclarations de Saad Hariri, ce sont deux points précis.
. D’une part, toute cette malveillance concentrée sur Gebrane Bassil, justifiée en partie, mais pas jusqu'au point de l'accuser de tous les maux, « raciste » compris. A écouter et à lire cheikh Saad, GebB est le manitou au Liban. Pire encore, on dirait que Hariri fils n’accorde au Hezbollah et son chef que le rôle de comparses et la faute de « couvrir Gebran Bassil et ses agissements ». On croit rêver.
. D’autre part, toute la bienveillance politique déployée à l’égard de Nabih Berri. A ce point, c’est hallucinant. Le chef du Parlement a humilié le chef du gouvernement de la pire manière il y a un peu plus d'une semaine (« ni toi ni personne ne me dira ce que je dois faire ! », avec en bonus, cela 🤪 ou un truc de ce genre, à ce qu'on raconte, et une leçon de morale quelques jours plus tard, « il faut apprendre à présenter les projets de loi », càd toujours commencer en coulisse pour peaufiner et conclure les deals politiciens entre les fromagistes, avant d'aller à la mascarade du vote protocolaire !). C'est une première dans l’histoire de la République libanaise. Un couac qui théoriquement ne passe pas مرور الكرام au pays des 18 communautés. Et pourtant, Saad Hariri n’avait rien à redire à ce sujet hier, chez lui, à Beit el-Wasatt à Beyrouth, durant le tchat avec les journalistes. Pire encore, il a tenu à féliciter ألاستاذ qui « joue un très grand rôle au Liban (…) il a la sagesse, il sait comment se conduire avec les gens et dire ce qu’il faut quand c'est nécessaire ». Saad Hariri sait de quoi il parle, il a suffi un clin d’œil de Nabih Berri pour faire sauter le quorum parlementaire le 22 avril, avec l’aide des députés du Futur et du PS svp, et renvoyer le vote du plan d’aides de 1 200 milliards LL aux calendes grecques. La synchronisation et l'harmonisation était impressionnante.
Parlons peu, parlons bien. Je l'ai dit et redit, je persiste et signe, Saad Hariri ferait mieux pour le Liban que le hezbollahi-compatible gouvernement de Hassann Diab. Néanmoins, les conseillers de l'ex-Premier ministre libanais doivent bien comprendre et attirer l'attention de Saad Hariri sur trois points.
- Primo, la diabolisation excessive de Gebrane Bassil, pas de Nabih Berri, et l'ignorance manifeste de Samir Geagea, pas de Walid Joumblatt, ne peut qu'être mal perçu par la rue chrétienne.
- Secundo, cette politique de l’autruche et du compromis, تدوير الزوايا وتبويس اللحية, qu’il pratique comme tout le monde au pays du Cèdre, sans exception aucune, est responsable de la détérioration constante de la situation au Liban.
- Tertio, avec tout le soutien du FMI, les Libanais ne connaitront ni paix ni prospérité que si et seulement si les politiciens libanais, notamment les ex-piliers du 14-Mars, Hariri et Geagea, ainsi que les personnalités indépendantes et la société civile, travaillent sérieusement pour mettre un terme à « l’anomalie » que constitue la situation du Hezbollah au Liban, une organisation classée terroriste par les pays arabes et occidentaux ainsi que par l'Union européenne et les Etats-Unis, d'où viendra l'argent du FMI. CQFD et à bon entendeur, salut 🤔
PS : Quelques heures avant le tchat de cheikh Saad avec les journalistes hier, le monde apprend du ministre fédéral allemand de l'Intérieur que « l'Allemagne a interdit aujourd'hui les activités de l'organisation terroriste chiite du Hezbollah sur son territoire ». De l'autre côté de la Méditerranée, on continue la politique de l’autruche et du compromis.