samedi 1 juin 2019

Qui veut la peau de l’Université libanaise ? Survol du budget incohérent du Liban pour 2019 (Art.617)


Tout a commencé avec les palabres sur le budget. 1 234 pages, pour faire croire qu’ils sont sérieux. Ils espéraient avoir un chèque en blanc. Ils nous disent que la loi libanaise de finances 2019 prévoit des coupes drastiques. Nous applaudissons. C’est que l’heure est grave. Les dirigeants libanais ne peuvent plus nous bercer en nous chantant "Tout va très bien Madame la Marquise". La dette publique du Liban est abyssale, elle dépassera prochainement les 100 milliards de dollars (200% du PIB). La classe dirigeante est impatiente de récupérer les 11 milliards $ de dons et de prêts de la conférence CEDRE. Parfait. Le problème c’est que tout indique qu’ils n’en feront pas bon usage et que les choses iront de mal en pis.

Ils prévoient des dépenses de 17 milliards de dollars alors que les recettes ne dépasseront pas les 13 milliards $. Pour y parvenir, on aura droit aux coupes budgétaires, parfois, pas toujours, sachant qu’il y a coupe et coupe. Lorsque les dirigeants occidentaux découvriront avec quel mépris les dirigeants libanais ont taillé dans le budget de la seule université gratuite au Liban, dans un pays qui devient progressivement inabordable pour sa population, ils mettront ces derniers sur la paille et récupéreront leur argent sur le champ.

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On prévoit une baisse du budget de l’enseignement supérieur public au pays du Cèdre de 25 000 000 $ et une diminution de 3 300 $ seulement du budget salarial du Parlement (smalla wou yekhzil3ein!).

On affectera 1 700 000 000 $ au secteur électrique, sachant que le vol du courant électrique est monnaie courante aux quatre coins du Liban et peut atteindre 70% dans certaines régions. Ça va aller ou je continue ?

Les budgets salariaux de la Présidence du Conseil des ministres et de la Présidence de la République augmentent. Idem pour le ministère des Affaires étrangères, mais alors là c’est carrément 8 millions $ de plus. Le budget de l’Intérieur baisse de 2,2% quand c’est 8,8% pour l’Université libanaise. A la Défense, au budget gigantesque (1 900 millions $), on envisage même une augmentation (ah seulement de 3,7 millions $ ; ma bé3acho el chabeb wlo !). A la santé, on baisse le budget des soins primaires et bucco-dentaires. Le pompon, à l’Energie et l’Eau, on prévoit une petite augmentation pour le budget salarial, sans doute pour les services rendus, les coupures électriques depuis 1990.

Dans les dépenses, une ligne retient toute l’attention au moment où Hassan Nasrallah exprime son intention de réaliser un remake des "Tambours de la guerre" : 20 millions $ pour « compléter le paiement des indemnités de l’agression de juillet ». Hein ? Rappelez-vous, la guerre de 2006 où Israël a bombardé massivement le Liban pendant 33 jours, il y a 13 ans, une guerre déclenchée par le Hezbollah pour libérer un Samir Kantar, emprisonné en Israël depuis 1979 suite à une opération palestinienne en territoire israélien et qui est allé mourir dans les bras du tyran de Damas. Et pour le CDR, le Conseil du développement et de la reconstruction, et de la destruction de la magnifique prairie de Marj Bisri au Sud-Liban aussi (pour construire un aberrant barrage), une présentation biaisée des comptes laisse apparaitre que son budget général, qui inclut les financements internationaux en 2018, est en baisse de 45,5%, alors qu’en réalité le budget alloué aux chantiers en cours d'exécution en 2019, financés par l'argent des contribuables libanais, est en hausse de 52,6%, du jamais vu.

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On voit bien de ce survol du budget pour l’année 2019 quelles sont les priorités des dirigeants du Liban. L’incohérence des choix économiques des ministres et des députés libanais, kelloun ye3né kelloun, saute aux yeux. C’est ce qui nous amène à nous interroger sur l’utilité et la finalité d’une mesure qui manque singulièrement d’intelligence. Y a-t-il une volonté du pouvoir libanais et des partisans de la privatisation de tout (y compris de l’air qu’on respire au moment venu), et des lobbies des universités privées qui poussent comme des champignons au Liban et dont la qualité de l’enseignement laisse beaucoup à désirer, d’obliger les classes moyennes libanaises à se saigner pour envoyer leurs filles et fils dans 47 universités privées hors de prix, déjà qu’ils peinent à les conduire jusqu’au bac ?

La coupe budgétaire concernant l’Université libanaise est une honte -pour l'ensemble du gouvernement Hariri, les 128 députés de la nation et tous les partis politiques sans exception- qui restera coller sur le dos de ceux qui l'ont adopté et la voteront. Elle est la marque d’une classe politique, et d'une frange de la population, incapables de comprendre qu’on évalue un pays, entre autres, à la qualité de ses services publics, notamment de son système éducatif, et non à celle de son front de mer, ses rooftops et ses narguilés 🤫



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