samedi 28 décembre 2019

La course de saut d'obstacles pour doter le Liban d'un nouveau gouvernement de salut national (Art.698)


Nombreux compatriotes ne croient qu’au salut à travers un gouvernement de technocrates, de spécialistes et d’experts. Alors imaginons pour une fois comment iront les choses en pratique si nous décidons de suivre cette stratégie 🇱🇧

• 1er obstacle : le Premier ministre doit se faire accepter par la rue et l’establishment sunnites
C’est une évidence pour un poste réservé à la communauté sunnite d’après le Pacte national islamo-chrétien. A défaut, il aura le plus grand mal à trouver des ministres sunnites crédibles, et plus tard, à faire accepter ses décisions par la rue et l’establishment sunnites. Pour l'instant, Hassann Diab ne peut compter que sur 6 députés-coreligionnaires.

• 2e obstacle : le choix des ministres et l’attribution des ministères
Former un gouvernement technocrate implique deux démarches concrètes : sélectionner les noms et attribuer les ministères. Bien que difficile, la première est à portée de main. La seconde est plus problématique, mais trouvera une solution simple en adoptant une de mes propositions politiques, attribuer les ministères par tirage au sort parmi les noms suggérés pour chacun d’entre eux. Cela éliminera les tractations, interminables et arbitraires. Nous pourrons en finir une fois pour toutes avec les « ministères chasses gardés» réservés à tels communauté, parti et politicien. Le problème c'est que la majorité des leaders politiques ne le souhaitent pas.

• 3e obstacle : obtenir la confiance des Libanais
Ce qui implique d'accorder la confiance à des personnalités dont on n’a jamais entendu parler ! Ce n’est pas gagné d'avance. Comme la procédure n’est que symbolique, les ministres gagneront le Grand sérail, avec ou sans la confiance des Libanais, au risque de garder la rue mobilisée, ce qui rendra l’exercice du pouvoir fastidieux.

• 4e obstacle : obtenir la confiance des représentants de la nation
Pour ce faire, il faut qu’une majorité de représentants de la nation accordent leur confiance à des personnalités dont ils ignorent leurs avis sur les principaux problèmes de notre pays. Oh, on n'est pas sortis de l'auberge. Mais il ne faut pas rêver, Hassann Diab a été nommé exclusivement par le camp « pro-Hezb et pro-Assad », le vote de confiance de son gouvernement a toutes les chances de suivre le même schéma.

• 5e obstacle : tenir compte de la force de gravité du Hezbollah au Liban
Il est particulièrement naïf d’imaginer qu’un narcissique Premier ministre, qui fait cavalier seul, déconnecté de sa communauté et de la réalité, inconnu au bataillon, propulsé sur le devant de la scène par les moteurs « pro-Hezb et pro-Assad » pour être mis sur orbite autour de la planète 8-Mars, soit capable de gouverner le Liban en apesanteur, sans tenir compte de la force de gravité politique exercée par le Hezbollah au pays du Cèdre !

• 6e obstacle : rédiger la déclaration de politique générale du nouveau gouvernement
Après la publication du décret de formation du nouveau gouvernement, on dispose de 30 jours pour le faire. Si nous prenons en considération le 5e obstacle, cette déclaration qui doit tracer les grandes lignes politiques du prochain gouvernement, devra être forcément favorable au Hezbollah ! Sinon, pas de vote de confiance au Parlement. Là, point de mystère, pour éviter cela, les cuistots du 8-Mars déclareront que la préoccupation majeure des Libanais est d’ordre économique, on remettra le triptyque mythologique « peuple-armée-résistance » sur la table et on décrétera avec une audace digne des autruches qu’il n’y aucun lien entre la « prospérité » du Liban et l’ « anomalie » du Hezbollah.

• 7e obstacle : obtenir la confiance de la communauté internationale
Et nous voilà au cœur du problème et d'un paradoxe. Si nous surmontons le 6e obstacle comme prévu, ne vous réjouissez pas trop vite, nous n’aurons absolument pas la confiance de la communauté internationale, la majorité des pays arabes et occidentaux classent le Hezbollah comme une entité terroriste. Et si nous ne réussissons pas, nous serons bloqués dans une impasse. Personne n’investira 1$ dans un pays contrôlé par un parti-milicien où l’État fait de la figuration sur des questions souveraines, comme l'application des lois en vigueur sur tout le territoire libanais, le contrôle des frontières et la déclaration de la guerre. Le Liban s’engagera alors dans une période de grande incertitude où tous les risques sont envisageables (faillite du pays, perte d’une partie de nos économies, troubles sécuritaires, etc.).

• 8e obstacle : les 100 premiers jours du prochain gouvernement
Faut pas rêver, les premières décisions du nouveau gouvernement devront porter sur les points suivants : lutter contre le gaspillage de l’argent public ; augmenter les ressources de l’État ; fixer le nouveau taux officiel de change LL/dollar ; légaliser les mesures bancaires ; mettre fin à l’hémorragie financière du secteur électrique ; prendre les mesures concrètes pour récupérer les fonds volés ; restructurer la dette publique ; et j’en passe et des meilleures. Peu importe les détails, ce qu’il faut comprendre c’est que nous serons contraints de prendre des décisions populaires ET impopulaires.

*

Pour que notre cheval parvient à franchir ce 8e obstacle, le plus important de tous, nous aurons besoin d'appliquer les lois en vigueur avec une main de fer, de prendre de nouveaux décrets et de voter de nouvelles lois. Essayons d’imaginer cela concrètement : le Conseil des ministres technocrates concocte des lois, les envoie pour discussion aux commissions parlementaires et les soumet au vote des députés. Soit. Mais comment peut-on imaginer sérieusement que 128 députés politisés jusqu’à la moelle, voteront gentiment pendant deux ans et demi (jusqu’aux prochaines élections législatives de mai 2022, car on ne peut pas organiser des élections anticipées à moins de piétiner la Constitution !), des lois décidées par des technocrates retranchés dans leurs tours d’ivoire (et qui ne sont soumis à aucune sanction électorale ou disciplinaire qu'ils réussissent ou qu'ils échouent) ? Il ne faut pas être devin, même si c'est la période, pour comprendre que ce système ne fonctionnera pas jusqu'au printemps, SAUF si les technocrates sont nommés par les partis politiques représentés dans l'actuel Parlement ! Elémentaire mon cher Watson. Et pourtant, l'imagination d'une frange de nos compatriotes et de tous les leaders libanais n'est pas arrivée jusque-là ? 🤔

Ce n'est pas la peine d'engager notre cheval plus loin, nous avons déjà suffisamment d'obstacles comme ça. La course pour sortir le Liban de la crise dans laquelle il s'enfonce progressivement, commence par la formation rapide d'un gouvernement efficace. L'option qu'il soit composé de technocrates, dans le contexte actuel au #Liban - l'anomalie du Hezbollah, un parlement politisé, une majorité parlementaire huit marsienne, un pays communautaire, un chef de Parlement complice de l'anomalie, un président de la République partisan de l'anomalie, un gendre qui joue le rôle de Don Quichotte de la République libanaise, et le péril en la demeure - engage les Libanais dans une course longue, semée d'embûches et surtout, périlleuse. Une chose est sûre, miser sur Hassann Diab pour réussir ce concours de saut d'obstacles est très risqué. Je l'ai dis et redis, je persiste et signe, c'est un tocard, un cheval qui ne finira pas sa course.


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki