lundi 13 avril 2020

A chaque pays sa stratégie pour lutter contre la pandémie de Covid-19 : il faut cesser de vouloir appliquer en France ce qui est valable pour l’Allemagne, au Liban ce qu’on fait en Suède, en Italie ce qui fonctionne en Corée du Sud et aux États-Unis ce qui marche pour Taïwan (Art.778)


Pour beaucoup c’est la sud-coréenne qui prévaut, point barre. Pour d’autres, c’est incontestablement la suédoise. Il y a les adeptes de la singapourienne. D’autres préfèrent l’allemande et l'autrichienne. On a entendu parler de l’anglaise, de l’israélienne, de la taïwanaise et même de la libanaise. De la gauloise et de la romaine, peu. Personne ne peut échapper au débat récurrent de milliards de confinés des quatre coins du monde sur la stratégie optimale à suivre pour gagner la guerre contre le nouveau coronavirus. C’est une véritable tour de Babel. Quelques réflexions sur le sujet.

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• Primo. La stratégie de la Chine citée régulièrement par certains est un triomphe en trompe-l’œil. L’empire du Milieu a gagné une bataille contre le Covid-19, mais pas la guerre contre la pandémie. Le modèle chinois ne peut pas être reproduit ailleurs, que si et seulement si, on adopte ce qui a permis à la Chine de maitriser provisoirement la pandémie, le mensonge et l’autoritarisme. Sans le mensonge des autorités chinoises (sur la réalité de l’épidémie, la propagation du virus dans la société, le nombre de personnes infectées ou mortes, etc.) et l’autoritarisme politico-sanitaire du régime communiste (répression des lanceurs d’alerte, disparition des personnes qui critiquent le pouvoir, confinement absolu deux mois et demi, pistage des personnes malades/contacts, etc.), la stratégie chinoise ne vaut rien. Comme le mensonge d’État et l’autoritarisme du pouvoir sont incompatibles avec les modèles démocratiques, la stratégie chinoise n’est pas à vrai dire reproductible dans beaucoup de pays, les occidentaux en tête.

• Secundo. Tout le monde jure par les stratégies des pays de l'Est de l’Asie. Certes, la Corée du Sud est un pays modèle en 2020, dans la lutte contre la pandémie de SARS-CoV-2 (Covid-19), mais elle était un contre-modèle en 2013, dans la lutte contre l’épidémie de MERS-CoV. A l’époque, c’était le deuxième pays le plus touché par ce cousin des SARS-CoV-1 et 2, après l’Arabie saoudite. Hong Kong, Taïwan et Singapour sont des modèles en 2020, dans la lutte contre le SARS-CoV-2, mais ce sont les trois régions les plus frappées après la Chine par l’épidémie de SARS-CoV-1 en 2003. En 2003 comme en 2013, la plupart des pays du monde, y compris les pays occidentaux, ont été pratiquement épargnés par les deux épidémies de coronavirus. Avec les mensonges de la Chine, ils se sont crus à l'abri en 2020, comme en 2003. C'est le péché originel.

• Tertio. La proximité géographie avec l’épicentre de la pandémie en Chine (2020) et les antécédents épidémiologiques de coronavirus (2003 et 2013), ont été des éléments déterminants dans la réussite des stratégies des pays de l'Est de l’Asie aujourd’hui. Ils ont permis à ces pays de se sentir rapidement concernés par le problème et sérieusement menacés par le nouveau Coronavirus. Cela leur a permis de prendre bien conscience de la gravité de la menace et de déclencher rapidement les mesures pour y faire face, au moment où le virus n’était pas encore très disséminé dans le monde, afin d’éviter leurs erreurs dans le passé. Toujours est-il que ces deux facteurs n'étaient pas transposables de ces pays aux autres pays du monde. Il faut comparer ce qui est vraiment comparable. A l'avenir, l'approche occidentale sera bien plus efficace qu'elle ne l'a été en 2020.

• Quarto. Le succès temporaire des modèles asiatiques repose aussi sur la discipline et le civisme des citoyens, le respect des lois, des usages et des recommandations, ainsi que sur les habitudes sociétales de distanciation sociale. Les « gestes barrières » font partie de la culture asiatique, pas des cultures méditerranéennes et européennes par exemple. Se saluer sans se serrer la main ou se retrouver sans s’embrasser et sans accolades était quelque chose de normal dans les pays de l’Est de l’Asie, anormal en Méditerranée et en Europe, dans les pays arabes et africains. Même autrefois, ne pas porter un masque en Corée du Sud, en Chine et au Japon, vous faisait passer pour un extraterrestre. En porter en France, au Liban et en Italie, vous fait passer même aujourd'hui pour un-e pestiféré-e. La veille du confinement, malgré l’appel du président de la République et du Premier ministre en France à rester chez soi, les marchés et les parcs étaient bondés. Il a fallu légiférer et prévoir une amende de 135 € pour appliquer le confinement au « pays de la Révolution ». Pas en Allemagne, parce que les Allemands ont une autre histoire et un autre caractère.

• Quinto. Le succès temporaire des modèles asiatiques repose également sur la surveillance de la population, en exploitant les données personnelles de leurs citoyens (déplacements, interactions et contacts, grâce à la géolocalisation des téléphones portables ou le bluetooth ; paiements par carte bancaire ; transports ; etc.) et les données de surveillance de la population (identification faciale par les caméras des lieux publics). Ce point n’est pas vraiment sujet de débat en Corée du Sud, il a été accepté par les politiciens et les citoyens sans véritable opposition. En France, un sondage IFOP réalisé avant-hier révèle que la majorité des Français, jusqu'à 53% svp!, sont opposés à l’installation obligatoire sur les smartphones d’une application de surveillance, utilisant leurs données personnelles et permettant de les avertir s’ils ont été à proximité de personnes infectées par le coronavirus. Eh oui, on n’est pas en Corée ! Alors qu’est-ce qu’on fait ? On change de peuple ? Non, on s’adapte et on adapte les dispositions.

• Sexto. La pandémie de Covid-19 rend certains confinés, experts en médecine, en épidémiologie et même en jardinage. L’herbe est toujours plus verte ailleurs ! Il y a autant de stratégies que de pays dans le monde, autant de débats passionnés que de cellules de confinement. La question n’est pas de savoir quels pays ont raison et lesquels ont tort en ce moment. On voit bien de ce qui précède que les stratégies de lutte contre le nouveau coronavirus ne sont pas forcément transposables d’un pays à l’autre. Parfois, même pas comparables.

• Septimo. Il y a les facteurs spécifiques géographiques et les antécédents épidémiologiques, mais il y a aussi les habitudes sociétales acquises dès le plus jeune âge et les prédispositions culturelles en matière de libertés individuelles, auxquelles il faut rajouter le contexte épidémiologique propre à chaque pays et bien d'autres facteurs. Si l'Allemagne envisage la levée progressive de son confinement dès la semaine prochaine, alors que la France ne le prévoit pas avant le 11 mai comme l'a annoncé Emmanuel Macron ce soir, ce n'est pas parce que la stratégie allemande est plus efficace que la stratégie française, mais parce que la situation des deux pays est fondamentalement différente.

• Octavo. On m’a demandé ce qui me manquait le plus en ce moment. Oh il ne m’a pas fallu longtemps pour trouver : la poignée de mains. Ahhh, c’est l’invention immatérielle la plus fabuleuse de l’histoire de l'humanité. On m’a demandé aussi, qu’est-ce que je ferai en premier après le retour à une vie normale : la bise. Deux, trois ou quatre, qu’importe. Je n’y peux rien, c’est mon ADN culturel.

• Nono. Les stratégies de lutte contre le Covid-19 sont adaptées à chaque pays. Inspirons-nous des autres, mais de grâce, il faut cesser de vouloir appliquer à l'aveugle en France ce qui est valable pour l’Allemagne, au Liban ce qu’on fait en Suède, en Italie ce qui fonctionne en Corée du Sud, au Royaume Uni ce qu'on voit à Singapour et aux États-Unis ce qui marche pour Taïwan. Et vice versa, bien entendu 😊


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