mercredi 22 avril 2020

Les députés libanais sont invités à trois jours de séances parlementaires pour voter 66 projets de loi bâclés (Art.780)


Des séances parlementaires extraordinaires, soit ! Sur trois jours, smallah. Mais pour quoi faire ? Des lois, encore des lois et toujours des lois. A chaque parti et politicien les siennes, du rafistolage, sans vision globale et des mesures efficaces. « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses, alors qu’une seule est nécessaire » disait Jésus de Nazareth. Ce qu'il est demandé du gouvernement et du parlement aujourd'hui c'est d'éviter l’implosion du Liban et de protéger les Libanais. A la grave crise économique chronique depuis la fin de la guerre, se sont greffées une crise sociale aiguë, la révolte de 2019, et une crise sanitaire aiguë en 2020, la pandémie de Coronavirus, aux conséquences financières incalculables. Et pourtant, les parlementaires libanais ne sont à la hauteur ni de l’enjeu ni des risques.

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Au 2e jour du marathon législatif organisé à l'Unesco, arrêt sur quelques points du programme :

► Alléluia, le Liban est non seulement un pays pétrolier mais aussi un pays officiellement producteur de cannabis ! Pas de chance, au même moment, le baril de pétrole américain brut s’est vendu avant-hier à la bourse de New York à -37$. Rempli d’air, il vaut plus cher ! Pour la culture du chanvre indien, la perspective est douteuse. OUI à cette culture pour l’usage médical et industriel uniquement (proposition des commissions parlementaires), mais si et seulement si, elle est à la portée de tous les Libanais de toutes les régions du Liban, et à condition que ce commerce permette de renflouer les caisses de l’Etat. Nous doutons que ça sera le cas.

Il est clair que cette culture n'a été autorisée que dans le but de légaliser et d’enrichir les circuits et les mafias existants de la Bekaa, là où la souveraineté nationale est partiellement privatisée pour le compte du Hezbollah. Si le chanvre est officieusement cultivé dans cette région c’est parce ce que ce dernier le tolère et en profite illégalement. Tous les partis politiques ont cru que l’opposition publique du parti-milicien chiite au projet de loi était sincère. Mais enfin, un parti islamiste n’allait pas accepter urbi et orbi la culture du cannabis, ils comptaient sur les députés naïfs des autres formations pour faire passer la loi et pouvoir en profiter en toute légalité ! En période de sanctions américaines, c'est une aubaine inespérée. Merci qui ? Merci le gouvernement Hassann Diab et ces députés naïfs qui ont voté pour la légalisation du cannabis au Liban dans ces conditions.

Et c’est parce que les gars du Kesrouane, d’Akkar et du Chouf ne pourront pas se mettre au vert, comme leurs concitoyens de la Bekaa et du Hermel, que cette légalisation pose problème. Elle établit une discrimination entre les Libanais. De ce fait, elle pourrait et même devrait être invalidée par le Conseil constitutionnel. Soit tous les Libanais de toutes les régions peuvent cultiver le cannabis, soit personne et nulle part on peut le faire au Liban !

► Le projet d’amnistie (une proposition de Berri et de Hariri tante), au champ d’application plus ou moins vaste, n’est pas passé. On le remettra sur la table plus tard. Pas la peine de s’y attarder pour l’instant.

► OUI pour la levée de l’immunité de tous les responsables libanais qui se sont succédés depuis 1992 (proposition du duo Hezbollah-Amal), qui ont conduit le Liban à la catastrophe des 90 milliards $ de dette publique -par corruption, détournement de fonds et gaspillage de l’argent public- à condition de juger spécialement, les incompétents ministres de l’Energie depuis la fin de la guerre civile pour leur gestion désastreuse d’un secteur électrique responsable entre le tiers et la moitié de la dette abyssale. Comme par hasard, ils sont tous du même camp depuis 30 ans, le ministère vache à lait étant la chasse-gardée du quatuor Berri-Nasrallah-Aoun-Bassil.

► OUI pour la levée du secret bancaire concernant les comptes de tous les politiciens depuis 1991 (proposition du député Michel Daher, bloc CPL, dont les biens sont gelées dans une affaire judiciaire récente!), à condition que cela s’accompagne de l’obligation de déclarer les biens, les comptes et les transactions, concernant les politiciens libanais, ainsi que leurs familles, conjoints et enfants, majeurs et mineurs, au Liban et à l’étranger, et surtout, prévoir amende et emprisonnement pour les auteurs de fausses déclarations. Sinon, ce genre de loi ne servira à rien, je l’ai démontré dans un article sur le cas Gebrane Bassil.

► OUI pour que tous les responsables libanais qui se sont succédés au pouvoir depuis 1990 rendent des comptes devant le peuple libanais et pour les juger sur le gaspillage de l’argent public, à condition de juger le Hezbollah pour ses guerres dévastatrices, dont celle de Juillet 2006 qui à elle seule a coûté au Liban un gaspillage de près de 11 milliards $, l’équivalent de la moitié du PIB du Liban à l’époque, pour libérer un prisonnier qui est allé mourir dans les bras de Bachar el-Assad.

► OUI au renforcement de la culture démocratique, NON au populisme opportuniste des élections législatives anticipées, irréalisables.

► OUI à la restitution des fonds volés par les politiciens depuis la fin de la guerre, NON aux interminables batailles politiciennes stériles. Etant donné l’incompétence légendaire de toute la classe politique libanaise et sa responsabilité dans le désastre économique actuel, ce qu'il faut c'est de créer rapidement un « Impôt sur la fortune financière et immobilière » auquel seront soumis tous les politiciens qui se sont succédés au pouvoir depuis 1990 et leurs familles.

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A quoi s’attendre de 66 projets de lois soumis au vote à la hâte et à la dérobée, sachant que 2/3 d’entre eux n’ont pas été discutés et peaufinés en amont ? La situation des Libanais ne cesse d’empirer. Et pourtant, 128 députés défaillants croient comme une seule femme, Paula Yacoubian, que leur boulot consiste à déposer des projets de loi au Parlement, sans concertation, sans discussion, sans même se soucier s’ils aboutiront ou pas (13/66 pour la députée de Beyrouth, qui dit mieux !). Tout ce qui semble préoccuper les députés libanais, c’est la parade devant leurs cercles de partisans pour assurer une réélection confortable et s’assurer une rémunération gracieuse. Le cardinal de Richelieu avait coutume de rappeler aux novices du métier que « la politique c’est l'art de rendre possible le nécessaire ». Ce qu’il faut aujourd’hui c’est de protéger le Liban. Tout ce qui est en dehors de cela n’est que palabres, incompétence et non-assistance à un peuple en danger. Aucun des 66 projets de loi ne va dans ce sens. Ils sont tous bâclés, comme à l'accoutumée.


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki