vendredi 14 février 2020

Dans l'indifférence générale, la déclaration ministérielle du gouvernement libanais sous-entend que le Tribunal Spécial pour le Liban est politisé et que son verdict dans l'assassinat de Rafic Hariri pourrait menacer la paix civile au Liban (Art.731)


Saint-Georges, 14 février 2005, 10h10. Il y a 15 ans jour pour jour, personne ne pouvait imaginer une seconde ce que l’histoire nous réservait dans ses pages.
. Primo, que cinq membres du Hezbollah, chiite de confession, oseraient exécuter le plan d’assassinat de l’une des plus importantes personnalités libanaises, Rafic Hariri, sunnite de confession.
. Secundo, que trois semaines plus tard, le Hezbollah aurait le culot d’organiser une manifestation monstre le 8 mars pour dire « Merci la Syrie des Assad ».
. Tertio, que quatre semaines plus tard, un raz-de-marée humain envahirait la place des Martyrs le 14 mars, la plus grande manifestation de l’histoire du Liban, pour dire « la Syrie dehors », ce qui se réalisera le 26 avril 2005 après 29 ans d’occupation, et réclamer haut et fort, « vérité et justice », en cours de réalisation grâce à l’enquête internationale et le Tribunal spécial pour le Liban.

Mar Mikhaïl, 6 février 2006, 10h10. Il y a 14 ans, pratiquement jour pour jour, personne ne pouvait imaginer un instant ce que l’histoire nous réservait encore dans ses pages.
. Primo, que moins d’un an après l’assassinat odieux de Rafic Hariri, et de 21 personnes, Michel Aoun oserait effectuer la plus incroyable volte-face de l’histoire du Liban, passant du camp du 14-Mars, anti-Hezb/anti-Assad, au camp du 8-Mars, pro-Hezb/pro-Assad.
. Secundo, que dix ans plus tard, les piliers du 14-Mars, Samir Geagea et Saad Hariri, offriraient la présidence de la République, à Michel Aoun, alors que rien absolument rien ne les obligeait et sans aucune et pas une seule contrepartie concernant le Hezbollah.
. Tertio, que quatorze ans plus tard, l’alliance Nasrallah-Berri-Bassil-Aoun soit en réalité la plus solide de l’histoire du Liban (ayant résisté à la guerre de Juillet 2006, la guerre civile du 7 mai 2008 et une vingtaine d’assassinats politiques ayant visé exclusivement des personnalités du 14-Mars), et celle de Hariri-Joumblatt-Gemayel-Geagea la plus fragile, malgré le martyre de ce camp entre 2004-2014.

Voilà le bilan bref des 15 dernières années qui ont suivi le meurtre de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Il a fallu que ce triste anniversaire coïncide presque avec le vote de confiance au gouvernement de Hassann Diab, avant-hier. Un paragraphe de la déclaration ministérielle évoque ce qui est sans doute l’événement majeur de notre histoire contemporaine. Il n’a été relevé par aucun député 8-marsien, cela va de soi, mais aussi, par aucun député 14-marsien, ce qui prouve la léthargie de ce camp, et par personne de ladite société civile et les imposteurs de la révolution du 17 octobre, qui brillent par leur immaturité politique.

ان الحكومة، انطالقا من احترامها القرارات الدوليّة، تؤكد حرصها على جلاء الحقيقة وتبيانها في جريمة اغتيال الرئيس الشهيد رفيق الحريري ورفاقه، وستتابع مسار المحكمة الخاصة بلبنان التي أنشئت مبدئيا لاحقاق الحق والعدالة بعيدا عن اي تسييس او انتقام، وبما لا ينعكس سلبا على استقرار لبنان ووحدته وسلمه الأهلي

Cette déclaration est tout simplement abjecte. Elle sous-entend deux choses précises. D’un côté, via le terme « مبدئيا لاحقاق الحق والعدالة بعيدا عن اي تسييس او انتقام » (en principe...), les rédacteurs hezbollahi-compatibles expliquent qu’ « il n’est pas certain que le TSL veuille appliquer le droit et rendre la justice » et qu’ « il est probable qu’il soit politisé et qu’il cherche la vengeance ». D’un autre côté, via « وبما لا ينعكس سلبا على استقرار لبنان ووحدته وسلمه الأهلي
», les rédacteurs hezbollahi-compatibles mettent en garde que « tout verdict qui condamne les cinq membres du Hezbollah accusés de l’attentat terroriste du 14 février 2005 (des « innocents » et des « saints » pour Hassan Nasrallah), pourrait avoir des répercussions négatives sur la stabilité du Liban, son unité et sa paix civile ». Le Hezbollah cherche à travers le gouvernement officiel du Liban, d’une part d’installer le doute dans les esprits, et d’autre part, à dissuader les juges de condamner ses membres. Et paradoxalement il espère avoir la confiance de tout le peuple libanais et de la communauté internationale, les pays arabes et occidentaux en particulier ! La politique de l'autruche dans toute sa splendeur.

Ce passage de la déclaration ministérielle prouve trois choses :
. Primo, l’hégémonie du Hezbollah sur le gouvernement de Hassann Diab. Le parti-milicien a imposé son point de vue et défendu ses propres intérêts au détriment de ceux des autres.
. Secundo, la faillite intellectuelle des responsables libanais, politiques, religieux et civils. Palabres à longueur de journée, de mur, de colonne et d’antenne, et pourtant, ce passage est passé complètement inaperçu.
. Tertio, l’ingratitude d’une frange de Libanais hezbollahi-compatibles qui ne méritent ni le sacrifice de certains enfants de la patrie, comme Rafic Hariri, ni l’attention de la communauté internationale, à l’origine du Tribunal Spécial pour le Liban.

Aux âmes de celles et ceux qui sont morts pour le pays du Cèdre,
la patrie reconnaissante. En moins une partie 🇱🇧


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki