mardi 18 février 2020

Le scandale de la construction du siège social du Courant patriotique libre sur le promontoire historique de Nahr el-Kalb, site qui fait l'objet d'une demande du Liban pour son inscription par l'UNESCO sur la liste de Patrimoine mondial de l'humanité ! (Art.733)


C’est le plus extraordinaire livre d’histoire à ciel ouvert du Moyen-Orient. Ses eaux séparaient la capitale et le littoral de Beyrouth des monts et des vallées du Mont-Liban. C’est le trait d’union entre l’Orient et l’Occident.

Parce que le Courant Patriotique Libre y est impliqué, l’affaire est un scandale. Et parce que c’est le site de Nahr el-Kalb que le scandale devient abject. La consternation est nourrie par le fait que le chef du CPL, Gebrane Bassil, fait croire qu’il défend le « droit des chrétiens », prétend incarner « le changement et la réforme » au Liban et se prend depuis un moment pour « Don Quichotte de la République libanaise ».

*

Non mais qui croie sérieusement que ceux qui ont donné le feu vert pour détruire 6 000 000 m2 de la plus belle prairie-vallée du Liban, Marj Bisri (Sud-Liban), pour mettre en oeuvre un projet de barrage absurde et contesté, auront des états d’âme à défigurer 14 000 m2 du promontoire de Nahr el-Kalb afin de construire le siège social de leur parti ? Foutaises. La vidéo ci-jointe montre l’ampleur de la mégalomanie.

• De quel droit parlent-ils ? Celui de ne pas être dignes de préserver l’un des « monuments historiques » les plus précieux du patrimoine libanais, qui se trouve par hasard au milieu d’une région chrétienne ?
• De quel changement s’agit-il ? Celui de dévaloriser un site historique national au lieu de le valoriser ?
• Quelle réforme évoque-t-il ? Celle de ne pas respecter l’ensemble des lois en vigueur dans notre pays ?
• Dans quelle bataille don quichottienne s’engage-t-il ? Celle de s’accaparer un site qui représente 3 500 ans de l’histoire du Liban et s’approprier un promontoire archéologique pour des raisons nombrilistes, immatures et politiciennes, être vu du Nord au Sud et d’Est en Ouest ?

Depuis juillet 2019, on a vent du projet. Et pourtant, rien n’a été fait pour les empêcher de le réaliser. Bien au contraire. On parle de 4 bâtiments et d’une statue du président de la République, Michel Aoun, ex-dirigeant du Tayyar. Le CPL dit fièrement qu’il a prévu « un retrait de 20 mètres supplémentaires » entre son QG et le site historique. C'est comme celui qui dit qu'il a posé sa tasse de café à 20 cm du clavier de son ordinateur, une distance ridicule et grotesque pour brouiller les esprits. Le périmètre de protection des monuments historiques en France est au minimum de 500 mètres, un rayon qui peut être augmenté à titre exceptionnel pour certains sites, comme c'est le cas pour le promontoire de Nahr el-Kalb ! Le projet du CPL est tout simplement consternant. Cela n'empêche pas le parti de Gebrane Bassil de détourner l’attention des Libanais de l’essentiel en affirmant avoir obtenu « toutes les autorisations nécessaires ». Justement, il est là le problème ! Comment ont-ils fait sachant que depuis 2003, la Direction générale des antiquités a classé toute la zone en terrains non constructibles ? Cherchez l’erreur.

*

Mais le plus grave est ailleurs. Depuis 2005, ce site archéologique exceptionnel du Mont-Liban est inscrit sur le « Registre de la Mémoire du Monde ». Et pour cause, « la trentaine de stèles, reliefs, inscriptions et constructions de Nahr el-Kalb, le Lycus ou le fleuve du chien, résument toute l’histoire du Liban, dès la Haute Antiquité jusqu’à présent (…) Des armées pharaoniques, assyro-babyloniennes, grecques, romaines, arabes, anglaises et françaises ont bravé les obstacles qui cernent ce lieu de passage, difficile et fort escarpé, en sculptant sur ces rochers des stèles commémoratives ». En neuf langues différentes ! Du pharaon égyptien Ramsès II à l'empereur français Napoléon III, du roi néo-babylonien Nabuchodonosor II à l'empereur romain Caracalla, du sultan mamelouk Saïf el-Din Barqouq à l’émir libanais Chéhab II, du départ de la puissance mandataire française à la libération du Sud-Liban de l’occupant israélien, il ne manquait que la commémoration de la fin de l’occupation syrienne du Liban par la tyrannie des Assad.

Plus grave encore, depuis le 11 juillet 2019, Nahr el-Kalb est inscrit officiellement à la demande du Liban sur la « Liste indicative » fournie à l’Unesco, qui regroupe les sites que le pays du Cèdre voudrait les inscrire sur la « Liste du patrimoine mondial » de l’humanité. Notre pays considère que ce site historique majeur, comme d’ailleurs le Mont Hermon, le Château de Beaufort, le temple d’Echmoun ou les centres historiques de Saïda, de Batroun et de Tripoli, constitue « un patrimoine culturel et/ou naturel de valeur universelle exceptionnelle susceptible d'inscription sur la Liste du patrimoine mondial », au même titre que Baalbek, Byblos, Anjar, Tyr, ainsi que la vallée de la Qadisha et la forêt de Cèdres à Arz. La décision finale revient à l’Unesco. Reste à savoir dans quelles conditions !

Étant donné le scandale du jour, la question maintenant est de savoir si la construction du nouveau siège du CPL ne menace pas sérieusement l’inscription du site de Nahr el-Kalb sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité. Certes, le projet ne prévoit aucun empiétement sur le site lui-même. Mais, nul ne peut contester le fait que cette urbanisation et l'intense activité humaine qui en découlera, à proximité d'une zone classée, constitue une défiguration importante de ce site exceptionnel. Et de ce fait, on peut se demander si ce projet politicien ne constitue pas une violation flagrante des articles et de l’esprit de la « Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel » adoptée par l’Unesco et approuvée par le Liban ? Comment peut-il en être autrement sachant que l’éventuelle classification du site de Nahr el-Kalb comme patrimoine mondial de l’humanité est censée d’après l’Unesco conduire à « une augmentation du niveau de protection et de conservation des biens en question » ? Hélas, nous assistons à tout le contraire.

*

Si ça commence aussi mal, avant même la classification, ça ne pourra pas se terminer mieux. Comme pour la belle plage de Ramlett el-Baïda, voilà comment un projet d’intérêt personnel et partisan l’emporte sur un projet d’intérêt collectif et national. On avait la possibilité de faire de cette bande côtière beyrouthine, la plus magnifique des plages méditerranéennes. C’est raté. De même, on avait la possibilité de faire de ce site historique libanais, le plus extraordinaire livre d’histoire à ciel ouvert du Moyen-Orient. C’est encore raté. Rien n’a changé depuis le 17 octobre, la raison et les intérêts des plus forts sont toujours les meilleurs. Et le plus désolant dans tout cela, dans un cas comme dans l’autre, responsables, dirigeants et magistrats sont aux abonnés absents, après avoir donné leur aval pour certains. La révolution se doit de continuer. Maigre consolation, peut-être pas si maigre !, on raconte depuis la nuit des temps que tous ceux qui se prennent pour des conquérants devant ce promontoire sont frappés par la malédiction de Lycus ! Tôt ou tard, ils tomberont du piédestal sur lequel ils se sont hissés.


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki