jeudi 14 novembre 2019

Après l'interview controversée de Michel Aoun, quelle sortie de crise pour la révolution au Liban ? (Art.675)


Franchement, après avoir lu les commentaires des uns et des autres, je m’attendais à une catastrophe. Le visionnage en replay de l’intervention de Michel Aoun m’a permis de confirmer à la fois le diagnostic et le traitement 🇱🇧

 I  Rien n’est paradoxal sous le ciel libanais, tout est cohérence. Le président de la République est à l’image de tout le reste. A commencer par Nabih Berri et Saad Hariri d’ailleurs. Il n’est pas pire qu’eux ! Le chef du Parlement au pouvoir depuis 27 ans veut légiférer comme si de rien n’était (dont une loi d’amnistie générale!), alors que le gouvernement fraichement démissionnaire expédie les affaires courantes au sens le plus stricte du terme, comprenne qui voudra. Le Premier ministre, un politicien au pouvoir directement et indirectement onze des quatorze dernières années, ne veut présider qu’un gouvernement de technocrates, comprenne qui pourra.

 II  Désolé mais Michel Aoun n’est même pas pire que ladite société civile, déconnectée et lunaire, qui réclame un gouvernement de personnalités hors-sol (comme si les partis politiques n’existent plus, خلص تبخرو !), incapable d’obtenir la confiance des parlementaires actuels, à qui elle souhaite donner des pouvoirs exceptionnels, comme celui de légiférer, une atteinte flagrante à la Constitution qui stipule clairement que le régime politique au Liban est fondé sur « le principe de la séparation des pouvoirs (et) leur équilibre ». On ne peut pas être juge et partie, gouvernement et parlement, pouvoir exécutif et législatif en même temps ! Il n’y a plus aucun doute possible, ils sont TOUS irresponsables, كلن يعني كلن, les politiciens de tous bords comme la société civile en tout genre.

 III  Nous sommes engagés dans une grave impasse politique. La situation ne peut qu’empirer. Déjà une septième victime et tout le monde se renvoie la balle comme si nous étions dans une cour de récréation alors qu'il y a mort d'hommes ! Si on continue à considérer que les partis politiques libanais n’ont plus leur mot à dire, ni députés ni partisans, notamment le Hezbollah, Amal et le Courant patriotique libre, on va tout droit dans le mur et vers des émeutes et des affrontements. Pire encore, si on continue dans ce climat d’instabilité, les banques n’ouvriront plus leurs portes et n’alimenteront plus les distributeurs automatiques de billets. Actuellement, on les remplit, une heure après, ils sont vides. Il y a 4 milliards de dollars sous les matelas et dans les bas de laine. Pubs et restos travaillent au ralenti, les médecins aussi. Dans beaucoup de régions libanaises, l’essence et le mazout sont vendus au compte-goutte quand les stations-services ne sont pas carrément fermées. 1 $ = 1 900 LL. Il faut descendre des autruches, être suicidaire ou un bobo de Beyrouth, pour ne pas comprendre que l’heure est très grave.

 IV  Le 27 octobre 2016, j’ai publié un article à contre-courant mais prémonitoire : « Michel Aoun n'a aucune chance d'être élu sauf dans le cadre d'une transaction politicienne qui n'est pas dans l'intérêt du peuple libanais ». Trois ans plus tard, les événements me donnent raison. Il n’empêche, je suis contre toute action qui ne s’inscrit pas dans le respect de la Constitution, comme celle qui ne dit pas son nom visant à destituer le président de la République dans la rue ou à piétiner ses prérogatives, comme l’a été le patriarche maronite Nasrallah Sfeir quand il était question de déloger un prosyrien notoire, Emile Lahoud (2006-2007). Idem pour Saad Hariri, Nabih Berri et les 128 députés, pour qui je n’ai pas beaucoup d’estime, Paula Yacoubian comprise.

 V  Si je suis si attaché à la Constitution c’est pour deux raisons principales :

• D’une part, parce qu’elle édifie l'ossature de la République libanaise et fixe des règles claires, les mêmes, pour tous, quelles qu’en soient les circonstances. L’alternative c’est l’arbitraire selon les intérêts des uns et des autres et du moment. Si nous ne respectons pas la Constitution aujourd’hui, le texte et l’esprit, corps et âme, demain sous la pression de la rue aussi, le Hezbollah en disposera à sa convenance.

• D’autre part, parce que ne pas respecter la Constitution revient à ignorer un principe fondamental qui régit tout ce qui se fait sous le soleil : « Une fois qu'on a passé les bornes, il n'y a plus de limites ». C’est le principe Alphonse Allais, le roi de la boutade. Nasrallah-Berri y pensent déjà comme le confirment ces sujets récurrents du débat politique : la loi électorale qui fait du Liban une circonscription unique avec la proportionnelle intégrale, l’enterrement de l’accord de Taëf, les allusions au jour glorieux du 7-Mai (2008), المثالثة بدلا من المناصفة (au niveau parlementaire et de la fonction publique) et l’abolition du confessionnalisme (alors qu’on a un parti-milicien communautaire armée jusqu’aux dents qui prône encore dans ses livres l’instauration d’une république islamique au Liban !).

 VI  Michel Aoun est pro-Hezbollah, qui ne l’a pas encore compris, ferait bien de prendre sa retraite. Qui le regrette aurait mieux fait de ne pas l’élire. Michel Aoun est un têtu aussi. Qui s’en plaint de شعب لبنان العظيم aurait mieux fait de ne pas en faire une personnalité centrale de la vie militaro-politique libanaise depuis 35 ans.

Cela étant dit, de tout son interview, on n’a retenu qu’une phrase qu’on répète en boucle : « Si les gens dans la rue ne trouvent personne d’honnête dans cet Etat (avec qui ils peuvent dialoguer), il est préférable qu’ils immigrent, ils n’arriveront pas au pouvoir (…) J’ai une histoire, si elle leur plait, ils restent avec moi. Sinon, je m’en vais et qu’il ramène quelqu’un d’autre ». On aurait bien aimé ne pas nous rappeler ce passé douloureux où Michel Aoun était à Baabda entre 1988 et 1990 (guerre sur guerre, désolation et extension de l'occupation syrienne aux régions chrétiennes libres), ni son retour d'exil non plus depuis 2005 (blocage du centre-ville et fermeture du Parlement pendant un an et demi en 2006 et 900 jours de vacance de la Présidence en 2014). Nous avons donc toutes les raisons du monde pour ne pas faire confiance au général, mais une chose est sûre, c’est un appel au dialogue.

 VII  Sur la forme du prochain gouvernement, le président de la République a donné les grandes lignes. « On ne peut pas créer un gouvernement de rupture. Sinon, qui s’occupera du volet politique ? Il y a une assemblée nationale. Un gouvernement technocrate pur ne peut pas déterminer la politique du pays ! Nous aurons peut-être un gouvernement moitié-moitié (…) Ça sera un gouvernement techno-politique. Autrement, il ne sera pas couvert (dans ses actions). » C’est à croire que Michel Aoun me lit, c’est exactement ce que je dis depuis le début de la révolte le 17 octobre, c'est la seule solution réaliste, viable et efficace comme sortie de crise.

 VIII  Le président a tenu à préciser un détail crucial pour la suite. « J’ai un principe, je souhaite que les nouveaux ministres ne soient pas du Parlement. Je ne suis pas seul à décider, mais c’est mon souhait. » يعني بالعربي المشبرح, Gebrane Bassil, le chef du CPL, pourrait ne pas y être.

 IX  Comment s’en sortir dans ces conditions ? Dans le respect absolu du processus politique fixé par la Constitution de la République libanaise et l'instauration populaire du principe de la manif unique. Pour cela, je propose une sortie de crise en trois actes:

• Acte 1. Organisation des consultations parlementaires au plus vite. A ce stade, pour faire pression dans ce sens, les manifestations doivent se concentrer sur Baabda et nulle part ailleurs.

• Acte 2. Nomination d’un Premier ministre selon la volonté de la majorité des représentants actuels du peuple. Pour moi, il doit être issu de la classe politique, pour rassurer la communauté internationale et débloquer les 11 milliards $ de fonds promis par la conférence Cedre, pour relancer l'économie libanaise. Option A, je nommerai Saad Hariri, et option B, Raya el-Hassan.

• Acte 3. Formation rapide d’un nouveau gouvernement, en respectant le Pacte national islamo-chrétien. Au total, 24 ministres, avec des règles claires :
- 6/8 personnalités apolitiques et compétentes (le ministère de l’Intérieur peut organiser auprès des électeurs dans un premier temps, une consultation via internet pour établir une liste de personnalités éligibles ; et dans un second temps, un référendum sur Internet aussi, ouvert à tous les électeurs du Liban et de la diaspora libanaise, pour choisir les ministres parmi les noms de la liste établie au préalable ; à chaque étape les noms devant être validés par le Premier ministre désigné, pour s'assurer du caractère apolitique et compétent des heureux élus ; il n'y a rien de mieux pour dynamiser notre démocratie; ça sera une première mondiale),
- et 16/18 personnalités politiques, non conflictuelles et compétentes (avec comme base de conversion 7-8 députés/1 ministre),
- et surtout, PAS DE MINISTÈRE-CHASSE-GARDÉE, l’attribution des postes se fera par TIRAGE AU SORT, une première mondiale qui éliminera la majorité des tractations politiciennes.
A ce stade, les manifs devront se concentrer autour du Grand Sérail et nulle part ailleurs.

خليانا_نوصل_لهون_وبعدان_لكل_حادث_حديث# 😊


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki