vendredi 8 novembre 2019

Les étudiants de l'AUB et LAU manifestent devant la résidence de Fouad Siniora à propos des 11 milliards $ : Et pourquoi pas devant leurs universités pour dénoncer les tarifs universitaires dissuasifs et exorbitants pour le peuple libanais (Art.672)


🇱🇧 Pendant que la majorité silencieuse mue en un peuple grondeur, les étudiants ont décidé de prendre les rênes de la Révolution libanaise à deux mains. On ne peut que se réjouir de la mobilisation massive des jeunes des écoles et des universités -AUB, LAU et USJ notamment- et saluer leurs actions quotidiennes, comme celle d’aller manifester devant le domicile de Fouad Siniora hier.

Il n'y a rien de mieux pour rappeler urbi et orbi que personne n’est au-dessus de la loi, surement pas un ancien chef de gouvernement (plus de quatre ans au pouvoir, 2005-2009), ministre des Finances et des Affaires financières du temps de l’ex-PM Rafic Hariri (pendant une dizaine d'années 2000-2004 et 1992-1998). Dans le nouveau monde que nous bâtissons -pas depuis le 17 octobre comme le répètent les révolutionnaires de la dernière pluie, mais depuis la nuit des temps pour certains d’entre nous, comme votre obligé- tout le monde doit rendre des comptes, Siniora en premier, notamment sur une enveloppe de 11 milliards de dollars d’argent public. Plus de détails dans un post-scriptum.

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Certes c'est une excellente initiative, mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas aller plus loin ? Mais enfin, aujourd’hui ce qui nous appauvrit directement et appauvrit les parents de ces braves étudiants, ce n’est pas Fouad Siniora, ce sont les instituts d’enseignement privés hors de prix au Liban, comme justement l’American University of Beirut (AUB), la Lebanese American University (LAU) et l'Université Saint-Joseph (USJ) !

L’éducation est le poste qui creuse le plus le budget familial au #Liban. Les petites classes privées au pays du Cèdre peuvent coûter 6 000-8 000 $/an, alors que le salaire minimum libanais n’est que de 450 $/mois ! Aucun parent, ce qui veut dire pas un seul père ou une seule mère, ne mettra son fils ou sa fille dans une école publique au Liban, s’il en a le choix. Et pourtant, avec deux mômes à charge, il faut prévoir jusqu’à 15 000 $/an et même 20 000 $/an pour leur apprendre à lire et à écrire dans une école privée comme le Grand lycée franco-libanais, l'école Notre-Dame de Jamhour ou le collège Louise Wegmann, quand le SMIC libanais ne dépasse pas les 5 400 $/an. Cherchez l’erreur! Un de ces chiffres est surréaliste. La majorité des parents libanais n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants dans ces établissements privés, dont certains sont homologués par le ministère de l’Education nationale du pays de la « Liberté, Egalité, Fraternité », une devise valide en France mais pas à l’étranger apparemment. La majorité des parents libanais se saignent pour offrir à leurs enfants des écoles privées de qualité un peu plus abordable, comme La Sagesse, Antoura, Les Frères, Mont La Salle, etc.

Ah mais le pire, c’est la suite. Si on a la chance ou le malheur, tout dépend que l’on soit né riche ou pauvre, d’avoir une fille ou un fils, qui se met en tête de devenir médecin, il faudra prévoir pas moins de 250 000 $ pour réaliser son rêve à l’AUB/LAU et 150 000 $ à l’USJ. Eh na3am. Il vaut mieux qu'il/elle fasse ingénieur, hein? Eh bien, c'est respectivement 125 000 $ et 75 000 $. Même une licence en gestion ou lettres à l'USJ coûtera plus de 30 000 $. Et si vous parvenez à le/la convaincre de faire pharmacien ou architecte à la Beirut Arab University (BAU), il va falloir vous préparer quand même à débourser 70 000 $ et 55 000 $ au total.

Alors à votre avis, combien de Libanais peuvent se permettre de consacrer 28 à 46 années de salaires minimums pour offrir à leurs progénitures le luxe de prêter le serment d'Hippocrate dans ces prestigieuses universités au Liban ? Une toute petite minorité, on est d'accord. Et n’allez surtout pas croire que ceux qui étudient à l'AUB, LAU et USJ viennent tous de familles aisées. Non, loin de là. Certes, ils ont les moyens, mais beaucoup d’entre eux se saignent là aussi pour y parvenir. Et tout ce que les leaders libanais ont trouvé de mieux à faire pour corriger cette dérive en 2019, c'est de baisser de 9 % le budget du seul établissement public d'enseignement supérieur de qualité, l'Université libanaise.

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Alors vous comprenez, je souhaite voir les étudiants et les parents devant les universités et les écoles également. AUB, LAU, USJ, BAU, Balamand, Grand Lycée, Jamhour, Wegmann, et j’en passe et des meilleures. Qu’ils aillent demander des comptes à tous ces instituts déconnectés de la réalité libanaise, qui fixent des FRAIS universitaires et scolaires DISSUASIFS pour l’écrasante majorité du peuple libanais et EXORBITANTS pour la frange de la population qui peut se le permettre. Là-bas aussi il y a de « l’argent volé » à des parents désemparés qui n’ont pas vraiment le choix s'ils veulent donner le meilleur à leurs enfants. Le caractère privé du contrat et la qualité de l’enseignement donné en échange, ne changent rien à l’ampleur du scandale de l’enseignement privé au Liban, à l’origine d’une discrimination abjecte qui explique une grande partie des inégalités que l’on observe dans la société libanaise.

Le 25 octobre dernier, les deux principales universités libanaises l’AUB et l’USJ, ont fait savoir dans un communiqué conjoint que le Liban vit « un authentique sursaut national, le plus grand mouvement national unificateur depuis 1943, qui exprime profondément les souffrances et les besoins de notre peuple, et son immense désir de reconstruire notre pays sur de nouvelles bases ». Ils ne croyaient pas si bien dire. Et au lieu d’annoncer des mesures concrètes pour soulager la souffrance des Libanais et rendre leurs établissements accessibles à la majorité du peuple libanais, le président de la principale université anglophone Fadlo Khuri et le recteur de la principale université francophone Salim Daccache, se sont contentées d’appeler les autorités officielles libanaises à répondre aux attentes de « tous les Libanais », qui voudraient voir émerger « un État civil qui dépasse le confessionnalisme ». Et dire que c'est tout ce qu’ils ont retenu du soulèvement populaire du 17 octobre !

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Il est donc demandé aux instituts d’enseignement privé au Liban, universitaires et scolaires, d’adapter leurs frais et tarifs à la réalité libanaise. A défaut, ils risquent d’être la cible des prochaines actions de la révolution, bien avant qu'on aient fini avec la classe politique. A bon entendeur, salut ! 😎


PS : Les "11 milliards $ de Fouad Siniora" correspondent à des dépenses extraordinaires réalisées entre 2006 et 2009, lorsqu’il était à la tête du gouvernement libanais (par rapport au budget de 2005). Elles sont dues à la fermeture du Parlement pendant un an et demi par Estez & Co, ce qui a empêché les députés de la nation de voter un budget en bonne et due forme. Les principaux responsables de cette violation de la Constitution (qui a continué jusqu'en 2017 d'ailleurs, càd sous Hariri I, Mikati et Salame et Hariri II), ne sont rien d'autres que le quatro Aoun-Bassil-Nasrallah-Berri, qui ont violé la Constitution en fermant l'Assemblée nationale comme si c'était beit beïyoun (la maison de leur père). La justice libanaise dira s’il y a eu des irrégularités ou pas (l'enquête devant s'étendre aux dépenses extrabusgétaires entre 2009 et 2017 soit dit au passge).

Encore quelques détails. Durant cette période nous avons connus des assassinats politiques abominables, une guerre meurtrière et destructrice entre le Hezbollah et Israël pour libérer un certain Samir Kuntar (il ne le sera que quelques années après, il est allé mourrir dans les bras de Bachar) qui a coûté au Liban près de 11 milliards $ (le hasard des chiffres, hein, dégâts et manque à gagner, sans oublier les 1 500 morts, deux fois plus de blessés et 750 000 déplacés) et une mini-guerre civile déclenchée par les milices du Hezb-Amal-Qawmiyé le 7 mai 2008 (ayant fait une centaine de morts). Mais de tout cela, certaines autruches libanaises, descendants et ascendants d’autruches, n’en ont aucun souvenir 😋


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