dimanche 26 juillet 2020

Sommes-nous condamnés au Liban à survivre désespérés au milieu des flots comme les naufragés du « radeau de La Méduse » ? (Art.828)


S’il faut chercher dans les musées du monde une peinture pour illustrer la situation présente des Libanais, ça sera incontestablement ce chef d’œuvre de Théodore Géricault. Le choix se justifie par une interrogation pertinente. Sommes-nous condamnés à survivre désespérés au milieu des flots comme ces naufragés du « radeau de La Méduse » ? La question est légitime tant les risques existentiels sont réels pour nous aussi. Si le pouvoir pentacéphale, Aoun-Bassil-Diab-Berri-Nasrallah, qui manœuvre la « frégate Liban » en 2020 continue à agir avec autant d’insouciance que le commandant Hugues Duroy de Chaumareys en 1816, le drame est inéluctable.

*

Depuis 48 heures, on ne les voit pas et on ne les entend plus. Perturbés par la visite de Jean-Yves Le Drian, beaucoup de nos compatriotes sont allés faire de la plongée sous-marine ces deux derniers jours, pour ne pas avoir à entendre le ministre français des Affaires étrangères dire « c’est au nom des liens (qui lient le Liban et la France) que je suis venu porter ici un message de vérité, l’heure est grave, le Liban est dans une situation très préoccupante ».

L’importance de cette visite historique est double. D’une part, parce que la France est avec l’Arabie saoudite, les seuls Etats au monde qui ont la capacité de fédérer l'ensemble des pays occidentaux et des pays arabes pour sauver le Liban. D’autre part, parce que jeudi et vendredi, notre hôte a dit tout haut, pas ce que la France souhaite, mais ce que beaucoup de Libanais ne cessent de répéter depuis des lustres.

Pour s’en rendre compte, voici les déclarations diplomatiques les plus significatives de Jean-Yves Le Drian, prononcées à Beyrouth fin juillet, mélangées avec ses déclarations pas très diplomatiques, prononcées à Paris début juillet. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, tout y est.

• Primo, les symptômes dont souffre le Liban
« Les solutions pour le rétablissement du pays sont connues déjà depuis longtemps.
- Je pense en particulier à la mise en œuvre effective de l’audit de la Banque du Liban.
- Je pense également à la réforme du secteur de l’électricité, qui est un chantier emblématique. Je veux le dire clairement, ce qui a été fait jusqu’à présent dans ce domaine n’est guère encourageant.
- Je pense à la lutte contre la corruption et la contrebande, ce qui est fondamental pour l’avenir du Liban.
- Et dans le même esprit, l’indépendance de la justice et le renforcement de la transparence sont indispensables.
- Il est essentiel que l’État libanais affirme son autorité et son contrôle sur l’ensemble de son territoire.
- Il est indispensable que l’ensemble des responsables libanais respectent et préservent ce principe de dissociation du pays des crises que traversent la région. »

• Secundo, le diagnostic de la maladie libanaise
« Il y a eu des engagements de pris (...) de faire les réformes que tout le monde souhaite dans un délai de cent jours. Ces réformes ne sont pas au rendez-vous.
- On sait ce qu'il faut faire (...) Mais rien ne bouge !
- Aujourd'hui, il y a un risque d'effondrement. La prise de conscience du risque d'effondrement est très nettement insuffisante (de la part du pouvoir libanais). Il est temps que les autorités libanaises se ressaisissent. »

• Tertio, le traitement pour guérir le pays du Cèdre
« Avec la conférence CEDRE nous avions proposé un "contrat de confiance" pour financer des projets de développement (à hauteur de 11 milliards de dollars sous la forme de prêts et de dons) en échange des réformes structurelles nécessaires.
- La France est prête à se mobiliser pleinement aux côtés du Liban et à mobiliser l’ensemble de ses partenaires, mais il faut pour cela que des mesures de redressement sérieuses et crédibles soient mises en œuvre. Des actes concrets sont attendus depuis trop longtemps.
- Comme je l’ai dit récemment devant le Sénat français : "Aidez-nous à vous aider" (...) Vous connaissez peut-être l’expression française "Aide-toi et Dieu t’aidera". Ce que j’ai envie de dire aujourd’hui aux responsables du Liban, c’est : "Aidez-vous et la France et ses partenaires vous aideront". »

*

Indépendamment de nos divergences politiques, pour avancer, nous pouvons, nous devons nous retrouver autour de trois constats : l’effondrement général n’est dans l’intérêt de personne, le danger est existentiel, et surtout comme je l'ai dit dans l'intro, si le pouvoir pentacéphale, Aoun-Bassil-Diab-Berri-Nasrallah, qui manœuvre la frégate Liban en 2020 continue à agir avec autant d’incompétence que le commandant Hugues Duroy de Chaumareys en 1816, le drame est inéluctable.

Avec 100 milliards de dollars de dette, un secteur électrique désastreux, une contrebande florissante, des subventions stupides et d'aberrants projets comme le barrage de Marj Bisri (qui continue comme si de rien n'était), les finances publiques sont saignées à blanc et l'argent des déposants est gaspillé. Le navire Liban a fait naufrage il y a un moment déjà. Pour La Méduse c'était le 2 juillet 1816 précisément, au large de la Mauritanie, à cause d'un piège de navigation pourtant connu de tous. Près de 400 personnes étaient à bord. En cause dans notre cas, l’incompétence des dirigeants libanais qui n’ont pas réussi à éviter les "bancs de sable" non plus, dont celui qui a provoqué notre naufrage, le déficit abyssal dû à la gestion calamiteuse du secteur électrique, responsable de l'équivalent de la moitié de notre dette publique.

Les indélogeables politiciens libanais, avec leurs conseillers à la pelle, les Henri Chaoul et les Alain Bifani (ces imposteurs qui ont fait partie du système pendant des décennies, mais qui sont salués aujourd'hui par une frange naïve de la société civile pour l'avoir quitté !), ainsi que les classes aisées, ont déjà pris place dans les canots et les chaloupes de sauvetage, en se mettant à l’abri du danger, le jugement dernier du peuple libanais, et en protégeant leurs acquis et fortunes, comme les notables français du navire à l’époque (on y dénombrait 233 personnes). Le peuple libanais justement, classes moyennes et pauvres, est lui comme les soldats et les petits officiers de La Méduse, entassé sur un radeau de fortune construit à la hâte dans l’espoir d’avoir la vie sauve (on y comptait 151 personnes sur 150 m2).

Canots et chaloupes étaient censés tirer le radeau jusqu’à la terre ferme, sauf que rapidement les amarres ont été coupées, le peuple désespéré est un fardeau pour les dirigeants intéressés. La tragédie pouvait alors commencer. Les naufragés sont partis à la dérive pendant deux semaines à 60 km des côtes, avec rien à boire et à manger à part quelques biscuits, deux barriques d’eau douce et six barriques de vin. Le soleil torride, la macération dans une eau salée jusqu’à la taille, le stress, l'inconfort de ce caillebotis flottant, la promiscuité, la faim, l'enivrement et la déshydratation, pousseront les 150 hommes et 1 femme, plongés dans le désespoir, au pire : bagarres, noyades volontaires, sabordages et mutineries, la déshumanisation a atteint son comble avec des cas de cannibalisme. Après leur sauvetage, on ne dénombrera que 10 survivants seulement.

Sur les rives orientales de la Méditerranée, la moitié des 4,5 millions de Libanais, les classes moyennes et pauvres, se retrouvent à leur tour sur un radeau de la Méduse, entassés avec 1,5 million de réfugiés syriens et 0,5 million de réfugiés palestiniens sur 10 452 km2. Ils vivent tous en-dessous du seuil de pauvreté, avec une inflation galopante et des prix exorbitants, sans eau et sans électricité, payant des loyers libres et non contrôlés, incapables d'éduquer leurs enfants, de manger à leur faim et de se soigner correctement avec un dollar frôlant les 10 000 LL. Aujourd'hui on découvre même qu'on leur vende de la viande avariée. La survie et le chaos font régner là aussi, le chacun pour soi. Combien de survivants serons-nous au moment du sauvetage et à l’accostage ? Nul ne le sait.

Le commandant de La Méduse sera déchu de son grade et exclu de la marine française car il a « manqué à l'honneur ». Il a été condamné à trois ans de prison. Qu’en sera-t-il des commandants du Liban qui nous ont ruiné, à combien d’années de prisons devrait-ils, plutôt devrons-nous les condamner, surtout s’ils continuent à manquer à l’honneur et à leurs devoirs ? Telle est la question.

*

N’en déplaise aux autruches et aux idiots utiles, les déclarations de Jean-Yves Le Drian résument à merveille les revendications et les constats d’une grande partie du peuple du Liban. Elles devraient constituer la véritable feuille de route de politique générale du gouvernement libanais. Contrairement à ce que dit son chef narcissique, 97% de cette liste reste à faire. Par conséquent, ce qui est demandé au pouvoir pentacéphale Aoun-Bassil-Diab-Berri-Nasrallah, c’est de prendre des « mesures sérieuses et crédibles » pour ramener l'électricité 24h/24, contrôler les frontières terrestres-aériennes-maritimes d'une main de fer, renforcer l’indépendance de la justice, lutter contre la corruption, récupérer les fonds volés, étendre la souveraineté de l’État à tout le territoire libanais, respecter une distanciation politique par rapport aux problèmes régionaux, et j’en passe et des meilleures.

L’ouverture vers l’Est, l’axe Damas-Téhéran-Pékin, trois pays au ban des nations, ne fera que couler notre radeau de la Méduse, plus vite que prévu. Le pouvoir hezbollahi-compatible libanais et ceux qui le soutient d’une manière déclarée ou camouflée, des partis politiques aux bobo-néo-anti-occidentaux, doivent donc bien comprendre, qu’à défaut de réformes sérieuses et crédibles, il n'y aura rien, rien de rien, ni un dollar ni un euro ni un centime ni même une piastre, de la part des pays occidentaux et arabes en général, de la France et de l'Arabie saoudite en particulier, ولا قرش , car personne n’est prêt à priver son propre peuple et à gaspiller ses propres fonds pour les donner à des Libanais incapables de prendre leur destin en main, incompétents, râleurs, arrogants et non reconnaissants par-dessus le marché !

#صلّحو_او_زحّطوا
#وعلى_السريع_بالحالتين

PS : Cet épisode tragique de l'histoire de la marine française a été immortalisé par Théodore Géricault grâce aux témoignages de deux survivants du radeau de La Méduse, le chirurgien et le géographe. C’est une toile gigantesque de 491 cm de hauteur sur 716 cm de largeur. Vous pouvez l’admirer sur internet comme au musée du Louvre à Paris, en ayant en tête que le drame de La Méduse continue 204 ans après le naufrage ! L’apprêt et l’huile utilisés par le peintre français s’assombrissent d’une manière irréversible. Cette magnifique toile est donc condamnée à disparaître 😏

Mais pas le Liban, le pays du Cèdre est éternel tant que des enfants de la patrie se battent pour la nation et non pour des leaders caducs qui eux sont condamnés à finir aux oubliettes de l'histoire 🇱🇧


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki