Cet album odieux a été méticuleusement constitué, à la manière de Snowden, par un dénommé César, le pseudo d'un ex-photographe militaire syrien ayant fui la Syrie avec 45 000 clichés concernant 11 000 prisonniers, syriens pour la majorité, dont des Libanais selon certaines informations, affamés, torturés et mis à mort par le régime de Bachar el-Assad, entre 2011 et 2013.
Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a rien pu faire contre ce crime contre l’humanité, à cause de la Russie et de la Chine qui ont opposé une quinzaine de vetos au total sur des résolutions concernant la Syrie. Agissant en dehors du cadre de l’ONU, les Etats-Unis par contre ont réussi à la fois à anéantir Daech (via la coalition arabo-occidentale, 2014-2019), éliminer l’arsenal chimique de la Syrie (via les menaces de frappes d’Obama, 2013) et faire pression sur le régime syrien, via la loi César, votée par le Congress et signée par le président Donald Trump (2019). Elle entre en vigueur aujourd’hui.
« Caesar Syria Civilian Protection Act of 2019 » fait couler beaucoup d’encre dans nos contrées. Les spéculations vont bon train. Quelles conséquences pour la Syrie précisément, le Moyen-Orient en général et le Liban en particulier ? Il est important de le savoir pour mieux envisager l’avenir.
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Pour se faire une idée précise, il faut d’abord évaluer la portée de la loi César. « La loi établit des sanctions supplémentaires et des restrictions financières contre les institutions et les individus liés au conflit en Syrie… les étrangers qui (1) fournissent un soutien important ou s'engagent dans une transaction importante avec le gouvernement syrien ou ceux agissant au nom de la Syrie, de la Russie ou de l'Iran ou (2) sont sciemment responsables de graves violations des droits de l'homme contre le peuple syrien… ceux qui fournissent divers biens ou services à la Syrie ». Il est donc clair, cette loi fera très mal au régime de Bachar el-Assad, mais aussi à ses soutiens, la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais.
Mais la question que tout le monde se pose ce matin est de savoir jusqu’où ira ce mal : jusqu’à parvenir par la pression économique, à ce que l’on n’a pas pu obtenir par la diplomatie et les armes, la fin de la guerre, avec ou pas, la chute de la tyrannie des Assad, après 50 ans de dictature et de terreur, en Syrie et au Liban ?
Difficile de le prédire dès à présent pour diverses raisons.
1. L’objectif de la loi César ne le laisse pas supposer. Il s’agit de « mettre un terme au massacre massif du peuple syrien, à encourager un règlement politique négocié et à tenir les auteurs de violations des droits humains syriens responsables de leurs crimes ». D'ailleurs, le Secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo vient de lever tout doute à ce sujet : « Nous prévoyons beaucoup plus de sanctions et ne nous arrêterons pas tant qu'Assad et son régime n'auront pas mis fin à leur guerre inutile et brutale contre le peuple syrien et que le gouvernement syrien n'aura pas accepté une solution politique ». C'est donc la politique de la carotte et du bâton.
2. Il n’est pas question d’offrir à l’organisation terroriste jihadiste Daech, les conditions favorables pour renaitre de ses cendres.
3. La loi prévoit de nombreuses exceptions, plutôt vagues. Les sanctions pourraient être levées à condition de « mettre fin aux bombardements des civils/installations médicales/écoles, d'assurer un meilleur accès aux aides humanitaires, de libérer les prisonniers politiques, de laisser les réfugiés retourner chez eux, de traduire les auteurs de crimes de guerre devant la justice et de lancer un processus de vérité et de réconciliation crédible et indépendant en Syrie ».
4. Des exemples de régimes sous sanctions, ce n’est pas cela qui manque dans l'histoire. Les faire tomber par les sanctions, c’est tout une autre histoire. La Syrie est déjà sous sanction, la Russie et l’Iran eux-mêmes sont sous sanctions aussi et depuis belle lurette.
5. Le régime syrien maitrise parfaitement la contrebande et le marché noir, via ses protecteurs, la Russie et l’Iran, et ses voisins, l'Irak, la Jordanie et le Liban.
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A ce propos, Bachar el-Assad est béni des dieux des Enfers, il possède un extraordinaire échappatoire, le Liban. Ses alliés, le camp des ex-8Mars (شكرا سوريا الاسد), sont non seulement nombreux, mais en plus, ils sont au pouvoir, via le quintet Aoun-Bassil-Diab-Berri-Nasrallah, seul sans partage, comme au début de la guerre syrienne. En laissant la frontière syro-libanaise grande ouverte entre 2011 et 2014, ils lui ont rendu un énorme service en lui permettant de se délester de 2 millions de déplacés syriens, des opposants potentiels pour le régime. En entravant leur retour en Syrie par tous les moyens, nous sommes à la 10e année de la guerre!, Assad a même réussi à transformer les ressortissants syriens au Liban, en colonisateurs potentiels du pays du Cèdre.
Et comble de la chance pour ce régime maléfique, ses adversaires au Liban, le camp des ex-14Mars, Hariri-Joumblatt-Gemayel-Geagea, sont dispersés, désorganisés et pas vraiment doués pour s'unir et y faire face. Leur ex-chef, Saad Hariri, est tout sourire en compagnie de l'Istèz que du Hakim ! Comprenne qui pourra.
Toujours est-il qu'en gardant la frontière syro-libanaise grande ouverte, le quintet au pouvoir assure au régime de Bachar el-Assad une perfusion permanente de dollars américains par la Banque du Liban, et toutes sortes de contrebandes, dont des produits soutenus par la Banque centrale libanaise. 15 millions de dollars ont été injectés ces trois derniers jours sur le marché libanais, aussitôt aspirés par les spéculateurs sans scrupules au Liban et en Syrie. Au pays du Cèdre, nous sommes passés d’une consommation de 2,24 millions de litres de mazout dans les premiers mois de 2019, à 8,87 millions de litres pour la même période en 2020. Et malgré tout cela, vous avez le narcissique en chef, parachuté Premier ministre, qui continue à interroger son beau miroir, se teindre les cheveux et à s'envoyer des fleurs !
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Pas la peine d’en rêver, la loi César a peu de chance de mettre un terme à la guerre civile en Syrie ou à faire tomber le régime de Bachar el-Assad. Ce n’est même pas son objectif. Les nouvelles sanctions américaines pourraient mieux encadrer la guerre syrienne et mieux protéger les civils. Mais elles visent plutôt à faire pression sur le régime syrien, et son principal parrain, Vladimir Poutine, pour éliminer l’Iran et ses vassaux, les milices chiites, notamment libanaises, le Hezbollah, de l'échiquier syrien. A Bachar el-Assad, le message sous-entendu est clair, s’il veut profiter de sa victoire militaire à moyen terme, il doit d’abord couper ses liens avec l’Iran et le Hezbollah. A Vladimir Poutine, le message sous-entendu est tout aussi clair, s’il veut tirer profit du sauvetage du régime syrien à moyen terme, il doit d’abord faire pression sur Assad pour se débarrasser de l’Iran et du Hezbollah. A long terme, le message sous-entendu aux deux est encore plus clair, pas de reconstruction de la Syrie, sans solution politique, sachant que le volume global de destruction évalué par l'ONU à 400 milliards de dollars, fait baver beaucoup de rapaces du Liban, de France et du reste du monde.
Voilà ce qu'il en est au juste, à nous de savoir où sont nos intérêts. La Syrie est plus que jamais au ban des nations. Au lieu de tendre la main au pestiféré de Bachar el-Assad, comme l'a fait comprendre hier le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, le Liban doit lui tourner le dos, l'envoyer au diable et contrôler la frontière syro-libanaise d'une main de fer.
PS : A la guerre comme à la guerre, c’est à peine si certains s’en souviennent encore. Pour d’autres, les crimes de guerre sont imprescriptibles. Alors que les « idiots utiles » demandent toujours des preuves, je l’avais compris dès le départ, notamment en mars 2015. « Si les divinités maléfiques devaient s’incarner en un homme, elles prendraient Bachar el-Assad pour corps et Daech pour âme… Le dernier tyran des Assad ne pourra jamais échapper à deux actes abominables qu’il a commis… le massacre chimique de Ghouta (1 400 morts en quelques minutes) et l’album de César (l’industrialisation de la torture). »