samedi 6 juin 2020

Pour mettre nos ennemis publics au Liban, les politiciens corrompus, hors d’état de nuire, il nous faut agir comme les Américains avec Al-Capone (Art.795)


Al Capone, le plus célèbre gangster, fut arrêté, emprisonné, condamné et mis hors d’état de nuire, pas pour tous les crimes qu’il a commis, mais simplement pour fraude fiscale. Il fallait y penser. Oh mais cela ne suffisait pas, il fallait aussi des juges incorruptibles, dans un solide État de droit, ainsi qu’un dossier judiciaire accablant, pour neutraliser l’ennemi public numéro 1 de l’époque aux Etats-Unis. Jusqu’à 3 680 pages et 21 chefs d’accusations au total. Il ne pouvait plus échapper à son destin, 17 ans de prison.

Beaucoup d’entre nous répondraient volontiers à l’appel pour manifester aujourd’hui place des Martyrs à Beyrouth. Ce qui pourraient nous retenir ce sont uniquement les risques de dérapage et de parasitage orchestrés par les sbires du pouvoir politique hezbollahi-compatible en place. Aux sceptiques sincères qui hésitent à adhérer aux protestations en cours et se demandent pour quoi faire, nous répondons que c’est pour redonner du souffle au soulèvement du 17 octobre. Aux sceptiques hypocrites qui font semblant de ne pas comprendre pour quoi faire, nous leur rappelons que c’est pour construire notre nouveau Liban.

*

Des compatriotes idéalistes croient encore qu’ils pourront juger la classe politique libanaise et récupérer les fonds qu’ils ont volés en un claquement de doigt, alors qu’un député de la nation vient d’octroyer des « permis de tuer » aux politiciens corrompus sans que cela ne tire le Premier ministre et le ministre de la Justice de leur sommeil. Et pourquoi donc, parce Jamil el-Sayyed dont il est question est un député du Hezbollah et le pouvoir en place, le trio Aoun-Diab-Berri, ainsi que la majorité parlementaire, est hezbollahi-compatible. Alors que faire ?

Le principal problème au Liban n’est ni le Pacte national islamo-chrétien ni l’esprit communautaire. Répartir le pouvoir au niveau communautaire serait le cadet de nos soucis, si on mettait des personnes compétentes aux postes à pourvoir et si ces personnes rendaient des comptes. Fixer des quotas par communauté choque les bobos-révolutionnaires, libanais et occidentaux, qui réclament par ailleurs, des quotas féminins ! Bonjour la cohérence. Le principe de ces quotas est justifié par l’évolution des mentalités, même des sociétés occidentales, qui ne permet pas aux femmes par exemple de trouver leur place en politique et dans les entreprises. Idem pour les communautés. Sans quotas féminins ou communautaires, il y a inévitablement des dominations. Alors que faire ?

*

On peut briser tous les miroirs du Grand Sérail et obliger Hassann Diab à teindre ses cheveux en blonde. On peut nommer Nabih Berri comme ambassadeur de bonne volonté pour la défense de la paternité du Liban et non d'Israël concernant le hommous. On peut confectionner un pyjama rétro sur mesure pour Michel Aoun avec comme logo un tank. On peut organiser des élections législatives anticipées lundi matin à 10h10 précises et faire de Paula Yacoubian et de Joumana Haddad les Mariannes de la République libanaise. Mais tout cela ne changera rien. Les filles seraient mieux dans des ONG et les partis traditionnels resteront toujours là, fidèles aux postes et aux commandes.

Pour nous sortir du pétrin, il n’y a qu’une voie, celle suivie par les Américains dans les années 1930 pour coincer Al Capone. Oublions, au moins pour l’instant, les « crimes » de nos politiciens, les fonds volés et les enrichissements illicites, concentrons-nous sur leurs « fraudes », fiscales peut-être, mais aussi sur la mauvaise gestion des affaires publiques au Liban. Du triptyque qui a permis de réussir à mettre Al Capone HS, nous n’avons que le volet sur les dossiers accablants. Mais c’est l’essentiel ! La gestion désastreuse du secteur électrique, l’endettement astronomique, la frontière passoire entre le Liban et la Syrie, le casse-tête des réfugiés syriens, la contrebande concernant les dollars, le fioul et la farine, les emplois fictifs au sein des administrations, les naturalisations abusives, le parasitage de la douane, la gestion privatisée des ports et de l’aéroport, et j’en passe et des meilleurs. Que des dossiers accablants pour les politiciens libanais. Et pourtant, rien ne bouge, nous n’avons jamais eu de procès pour fraude fiscale, corruption ou mauvaise gestion.

Pour réussir à mettre nos ennemis publics, les politiciens libanais corrompus, hors d’état de nuire, il nous faut agir à deux niveaux.

• D’une part, nous devons étoffer nos dossiers en matière de fraude fiscale, de corruption et de mauvaise gestion, les consolider, et surtout les rendre recevables sur le plan judiciaire, afin de pouvoir porter plainte contre les corrompus et les faire condamner. Il faudra sans doute instaurer le principe d'une prime ou d'une amnistie, publique ou privée, accordée à toute personne qui fournirait une information clé permettant de coincer un-e politicien-ne corrompu-e.

• D’autre part, nous devons continuer à bâtir un solide État de droit et à nommer des juges incorruptibles. Nos efforts doivent donc se concentrer pour mettre fin par tous les moyens à « l’anomalie » que constitue la situation du Hezbollah au Liban, qui est le principal obstacle à l’édification d’un État de droit au pays du Cèdre, et à faire pression pour parvenir à un corps judiciaire de magistrats sain et intègre, qui veillera à rendre la justice d'une manière indépendante, au nom du peuple libanais et conformément aux lois en vigueur.

*

Il faut descendre des autruches ou être idiots utiles, voire hezbollahi-compatibles, pour imaginer que nous pourrons nous concentrer sur la relance économique, les problèmes quotidiens des Libanais et le retour de la prospérité au Liban, en nous offrant le luxe de ne pas nous occuper du reste, le contexte politique. Pas un dollar ne sera donné, viré ou investi au pays du Cèdre, par une bonne partie des Libanais du Liban et de la diaspora, les investisseurs étrangers et les donateurs arabes et occidentaux, tant que notre pays est dominé par un parti-milicien classé terroriste par la communauté internationale, le Hezbollah, et tant que nous ne montrerons pas au monde une détermination infaillible pour édifier un État de droit au Liban, et mettre fin à cette anomalie. Le filtrage sévère des manifestants anti-pouvoir tout au long de la journée, pour retarder leur arrivée à Beyrouth, et le laxisme flagrant pour empêcher la horde des intrus du duo chiite Hezb-Amal de pénétrer à Ain el-Rémmaneh, où des balles réelles ont retenti en fin d'après-midi, prouvent exactement le contraire.


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki