lundi 15 juin 2020

Témoignage d'un Israélien originaire de la communauté juive libanaise : « Arriver en Israël en 1966, en provenance du Liban, c’est comme quitter Gaza aujourd’hui pour se rendre à Tel Aviv ! » (Art.801)


Témoignage intéressant d’un homme de confession juive originaire du Liban, Léon Derziyé, né à Beyrouth en 1954. Ses parents étaient issus de deux familles nombreuses, 12 et 7 enfants, comme beaucoup de ses compatriotes de cette génération. Il vivait dans le quartier beyrouthin de Wadi Abou-Jmil, avec ses grands-parents, ses oncles, ses tantes et ses innombrables cousins et cousines aux alentours. J’ai des vagues souvenirs de ce quartier d'avant la guerre, une tante y habitait. Je me rappelle encore de ce lieu paisible avec des maisons anciennes magnifiques et des impasses ombragées. Tout a été rasé. Léon a appris le français, l'arabe et même l’hébreux, à l'école svp. Je ne crois pas qu'il subsiste encore une seule école qui enseigne cette langue dans tout le Moyen-Orient en dehors d'Israël ! La communauté juive, officiellement reconnue comme l'une des 17 communautés religieuses du Liban, se réunissait sereinement à la synagogue pour les chabbats comme pour les fêtes juives. Léon parle encore très bien le libanais. Son père a exercé la médecine à Beit Chabeb dans le Metn, caza chrétien à dominante maronite, et à Tibnine dans Bint-Jbeil, caza musulman à dominante chiite. Soupçonné d’espionnage en 1964, très déçu de l’avoir été, il a décidé deux ans plus tard de partir pour d'autres cieux. Léon avait 12 ans. Voici son histoire. Il la raconte sans rancune avec le sourire et beaucoup de nostalgie.

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Deux passages de ce court-métrage, entrecoupé par de nombreux souvenirs en noir et blanc, ont retenu mon attention.

1. « Pourquoi on dit que les Juifs du Liban vivaient bien? C'est parce qu'à aucun moment, ils n’ont été agressés ou tués comme en Europe, ou contraints de quitter leurs villages. Au Liban, nous n’avions rien de tout cela. Voilà pourquoi nous devrions dire aux Libanais, شكرا, merci. » (9:32-10:10)

2. « Arriver en Israël en 1966, en provenance du Liban, c’est comme quitter Gaza aujourd’hui pour se rendre à Tel Aviv ! A l’époque, il y avait une différence énorme entre le Liban, spécialement Beyrouth, et Tel Aviv. Il n’y avait rien à Tel-Aviv. Au Liban, on voyait de belles voitures, les derniers modèles de l’année (...) La vie à Beyrouth était belle. La vie en Israël était pauvre. Celui qui avait une Vespa (scooter), se prenait pour un chef de quartier ! » (10:58-11:57)

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Ô Léon, mais maintenant c’est exactement l’inverse ! La pauvreté est à Beyrouth et la richesse à Tel Aviv. Ceux qui ont des scooters, notamment immatriculés à Dahyié, sont les chefs des quartiers sud de la banlieue de Beyrouth, fief du Hezbollah, mais aussi du centre-ville et des quartiers voisins de la capitale, ils sont les maitres du taux de change du dollar américain au pays du Cèdre, de sa fuite en Syrie pour sauver le soldat Bachar et même de l'avenir du Liban et de l'ensemble des Libanais. Voilà où nous étions dans les années 1960, mieux qu'Israël !, et voici où nous en sommes dans les années 2020, sur la même longueur d’onde que Damas et Téhéran. C'était comme quitter Gaza pour Tel Aviv ! Nous savions que notre Liban était florissant, mais à ce point, je n'en reviens pas. Nous devrions donc dire un grand MERCI aux dirigeants incompétents du Liban et rendre hommage à la mythologie brodée autour de la lutte contre Israël par جبهة الصمود والتصدي والممانعة والمقاومة

De la Suisse de l’Orient, il ne reste plus rien de ce qui nous a valu ce surnom dans les années 1960. Le secteur bancaire est sérieusement affaibli par le quintet du pouvoir libanais, Aoun-Bassil-Diab-Berri-Nasrallah, notamment avec leur stupide décision d'injecter les réserves en dollars de la Banque centrale sur un marché soumis aux tempêtes spéculatives et avec une frontière syro-libanaise grande ouverte à tous les trafics. Par les temps qui courent, ça fait beaucoup de bien de se souvenir des deux points clés de ce témoignage, la tolérance et la prospérité, elles nous seront essentielles pour rebondir. « Si tu me le demandes, au final, j’aimerai bien y retourner. J’ai voyagé dans le monde. Je suis sûr que le Liban et Beyrouth pourraient être des endroits magnifiques. » Oh mollo-mollo Léon, ce n'est pas demain la veille, ni pour l'un ni pour l'autre 🤔


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki