mercredi 22 janvier 2020

Formation du nouveau gouvernement de Hassann Diab au Liban : premières réactions à chaud (Art.717)


C’est la gueule de bois pour un certain nombre d’entre nous. Tout ça pour ça ? Absolument. Et encore, on limite les dégâts. C’est ce qui arrive quand un mouvement protestataire est dirigé par des forces qui surestiment leur capacité de manoeuvre, sous-estiment celle de leurs adversaires et dont les revendications sont déconnectées de la réalité. « Tous sans exception كلن يعني كلن », « Gouvernement technocrate avec des pouvoirs législatifs exceptionnels مع صلاحيات تشريعية استثنائية », « Troisième République لبنان الجديد والجمهورية الثالثة », etc. C’est la leçon à tirer des 100 premiers jours de la Révolution libanaise. Les pôles du 8-Mars ont une majorité parlementaire et populaire confortable, ils pouvaient donc former le gouvernement qu’ils voulaient au Liban. Il y avait une seule possibilité de faire autrement, en mettant Saad Hariri au Grand sérail, avec un gouvernement techno-politique. Ni lui, ni ses alliés du 14-Mars (Geagea, Gemayel et Joumblatt notamment), ni la rue, n’en ont voulu. Les lamentations et les regrets ne servent plus à rien, encore moins le déni et le délire, il faut redescendre sur Terre et prendre acte.

Côtés positifs, il y a le record dans la formation du gouvernement (depuis 2005), les grands noms de la politique n’y figurent plus, les nouveaux ministres sont spécialisés, quelques-uns sont compétents et il y a six femmes. C’est une maigre consolation dès qu’on pense aux côtés négatifs, le "règne des fromagistes" comme disait le général Fouad Chehab continue, on a gardé l’hérésie des ministères chasses-gardées وكانهم املاك بيّاتون (Affaires étrangères-Énergie-Défense-Justice pour les chrétiens du CPL ; Finances-Agriculture-Santé pour le duo chiite Amal-Hezb ; Intérieur pour les sunnites), GebB Don Quichotte de la République libanaise contrôle directement six ministères (indirectement dix, la moitié du gouvernement ; soyez-en sûrs qu'il va encore gémir en disant عم بفركشوني العكاريت), à l’heure de la diète financière on a gardé le ministère de l’Information (l’aberration totale), on a fusionné l’Agriculture et la Culture (sans doute à cause de la rime), et surtout, aucun ministre n’est véritablement indépendant.

Pour les noms, laissez tomber c’est une mascarade. Ne perdez pas une seconde à lire les biographies. Le diable ne se cache pas dans les détails que lorsqu’il n’arrive pas à se glisser dans les grandes lignes. Ce gouvernement est hezbollahi-compatible. Tout le reste n’est que palabres قرط حكي.

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Étant politisé, le nouveau gouvernement n’aura pas la confiance de la rue protestataire. Étant pro-Hezbollah et pro-Assad, des entités considérées comme terroristes par la majorité des pays arabes et occidentaux et soumis à des sanctions, le gouvernement de Hassann Diab n’aura pas la confiance totale de la communauté internationale et des investisseurs libanais et étrangers. Par conséquent, on peut estimer sans trop nous tromper que le nouveau gouvernement ne fera pas de miracles. Alors que faire face à un pronostic pas très encourageant ? Pour y répondre il faut avoir trois éléments en tête.

. Primo, les voyants sont tous au rouge. Depuis ce matin le dollar est officieusement à 2 000 LL. L'époque des 1 500 LL est révolue. Certains compatriotes ont perdu un quart de leurs économies. La dette publique dépasse les 90 milliards $, 150% du PIB. Le chômage explose. L'alimentation électrique n'a jamais été aussi désastreuse. On a 1,5 million de réfugiés syriens bien enracinés. Les restrictions bancaires s’inscrivent dans la durée. On parle de trois ans et plus de trois mois. Étant donné la marge de manœuvre économique étroite, nous ne pouvons absolument pas nous offrir le luxe des protestations sans fin, de l’instabilité politique et du chaos économique.

. Secundo, il vaut mieux avoir un gouvernement temporaire, en activité et fonctionnel qu’un gouvernement démissionnaire, passif, ad vitam aeternam. Cela nous permettra au moins d’envisager de tout mettre en œuvre pour stabiliser la situation socio-économique et éviter qu’elle n’empire, ce qui est dans l’intérêt de personne. C'est déjà pas mal !

. Tertio, je l’ai dit et redit, je persiste et signe, nous devons nous opposer à des mesures spécifiques plutôt que de nous obstiner à rester dans l’opposition généraliste vaseuse et les revendications surréalistes. Le gouvernement de Hassann Diab est amené à prendre des décisions concrètes. Il faut juger au cas par cas et agir en conséquence. C’est plus efficace, et surtout, c’est dans l’intérêt de notre patrie.

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Difficile d’estimer l’espérance de vie du gouvernement de Hassann Diab. Tout dépendra de sa capacité à apaiser la rue et à redresser la situation économique du pays. Les enjeux sont considérables et les risques énormes. Dans le scénario le plus favorable, il restera en place un peu plus de deux ans, jusqu’aux prochaines élections législatives. La durée idéale pour nous préparer afin d’assurer le renouvellement de la classe politique traditionnelle, avec des réflexions intelligentes loin des statuts populistes sur les réseaux sociaux et des projets politiques solides et chiffrés loin des slogans généralistes.

Dans le scénario le plus défavorable, il ne restera en place qu’un laps de temps. Il tombera sous la pression de la rue ou de la Constitution. Une image a circulé hier. Celle d’un Michel Aoun président de la République, entouré de Hassann Diab et de Nabih Berri. D’après ce que l’on voyait, il dormait paisiblement, il était tard et la mission accomplie. Longue vie au général, mais on a l'âge de ses artères, cette image nous rappelle qu’il peut nous quitter d’un moment à l’autre. Si cela arrive, Diab et ses ministres tomberont, nous passerons d’un problème à deux. C’est pour dire, que l’on soit dans l’opposition ou au pouvoir, nous n’avons pas de temps à perdre pour retrousser nos manches et nous mettre au travail, afin d'éviter au #Liban la faillite totale 🇱🇧


© 2011-2020 Bakhos Baalbaki